Je suis un babtou qui fait du rap. Je suis un petit gars de Grenoble qui fait du rap depuis de longues années maintenant. J’ai commencé à 17, 18 ans et j’en ai maintenant 34. Ça fait également 12 ans officiellement que Opus existe. Voilà c’est ça Resca, c’est un gars qui rappe depuis longtemps avec ses copains et qui se fait plaisir dans la musique, tout simplement.
Je disais ça sous le ton de la rigolade, babtou. Parce qu’en fait on s’en fout, clairement. Le rap est très populaire, il y a de tout dedans et tant mieux car ça fait plein de choses, plein de couleurs et plein d’artistes différents. On s’en fout si un rappeur est un babtou, un rebeu, un renoi, un Indien, tant que c’est un être humain qui fait de la musique c’est cool, et ça suffit à l’art pour se développer. Et je ne sais pas si Grenoble a été un frein mais ça a quand même été un joli tremplin pour le groupe comme pour moi en solo. J’ai eu un certain nombre de projets en solo à un certain temps, mais moins maintenant. Je ne fais quasiment plus de scène solo, je ne tourne plus qu’essentiellement avec le groupe. Ça a été un tremplin culturel, évènementiel, humain, artistique et musical. Grenoble est un gros vivier plutôt bien servi en termes de culture et d’arts. C’est un aspect bénéfique et positif. Le coté négatif avec de gros guillemets c’est qu’on est en province donc on a un peu plus de mal s’exporter à un niveau national, ça a pris du temps. Quand on est un peu loin de Paris malheureusement, les gens n’ont pas le même attrait bien que ça devient de plus en plus faux maintenant. C’était plus compliqué quand on a commencé de ne pas être de Paris. La province c’est chouette car ça permet de se faire connaitre rapidement dans la région, ce qui nous est arrivé, ce qui est assez valorisant. C’est peut-être plus compliqué à Paris finalement d’attirer l’œil car il y a forcément beaucoup plus d’artistes. Donc je pense que c’est autant une force qu’un désavantage. En étant un peu plus mature aujourd’hui j’ai moins cette attente de rayonner, je suis juste heureux de pouvoir faire de la musique, si on est écouté c’est chouette, si on est reconnus par nos pairs alors c’est encore plus chouette. Mais pour ma part, Steven ou Resca, je préfère être reconnu que connu, je préfère cette reconnaissance au fait d’avoir percé. Ça m’attire moins d’être un emblème public aujourd’hui même si ça m’a attiré pendant un temps. Finalement avec le temps, d’autres directives de vie, d’autres choses ont fait que ce n’était pas si important que ça. Tant que nous continuons à faire de la musique alors on était heureux. Heureux d’être sur scène etc.
Steven c’est un petit gars qui va bientôt avoir 34 ans, qui est père de famille, qui a un chien et un chat, qui a un toit sur la tête, qui a un travail… voilà ! Qui fait comme tous les être humains de cette planète, qui essaie tranquillement de s’en sortir pour vivre sans avoir trop de contraintes, pour essayer d’être le plus libre possible. C’est ce qui parait être le plus important aux yeux de Steven.
Je ne sais pas… Je trouve qu’on a beaucoup de talents. Il y a vraiment de tout qui se fait et c’est vraiment chouette, plein de couleurs existent. Il y a peu de gens qui se ressemblent à Grenoble. On est une « petite grande ville », tout le monde fait de la musique à sa manière, et c’est très intéressant. Nous qui pratiquons du rap boom bap, je ne croise pas beaucoup de gens qui font la même chose que nous par exemple. Il n’y a pas beaucoup de gens non plus qui font de la musique plus moderne ou de la pop et qui vont se ressembler. Il y en a qui font de la pop, de la trap ou du drill et chacun le fait à sa manière. On ne trouvera pas un 2ème Resca à Grenoble comme on ne trouvera pas un 2ème Kespar. Je ne suis pas à l’abri moi-même de me renouveler dans la musique d’ici 1 an, 2 ans etc. Tout le monde a son identité propre et c’est peut-être ça la force de Grenoble, personne ne se ressemble et ça crée beaucoup de couleurs différentes, c’est un vivier artistique complet. Il y a de l’amateurisme mais aussi beaucoup de professionnalisme. Tout le monde est accessible et les mentalités ne sont pas rustres. Grenoble est éclectique, tout existe et en a le mérite.
Si on a donné un peu de courage et d’envie à certaines personnes c’est vraiment le meilleur. On cherche vraiment le partage, on organise ça pour partager avec tout le monde. C’est vrai qu’il y a des artistes plus jeunes qui m’avaient dit avoir assisté aux premières Fêtes de la Musique qu’on avait faites et qui avaient participé à nos open mics. Nous, on avait à cœur d’organiser ça de manière très street et indépendante, on a toujours fait comme ça et je pense que c’est ça qui a été souligné et ce pourquoi les gens ont été fidèles. Cette manière de faire a parlé à pas mal de gens, quand on était plus jeune et moins matures musicalement, parfois on ne nous laisser pas notre chance alors on a aussi organisé ça pour se mettre en avant. Et de plus en plus, on joue de moins en moins pour partager l’évènement avec les gens qui viennent pour cette ambiance qu’on a instauré. Sans prétention, on en est fiers car les gens reviennent tous les ans chez nous Place Championnet. C’est une petite victoire, mais oui, il y a des jeunes qu’on a vu passer par nos open mics et qui maintenant sortent des projets et font des concerts. J’imagine qu’on a servi ces gens-là d’une certaine manière mais ça s’est fait d’une manière inconsciente car nous voulions juste faire de la musique et la partager.
Ça change plein de trucs, on dort moins, en tout cas je ne dors pas beaucoup depuis 2 ans.
Je dirais que oui mais je pense que c’est plutôt inconscient car je n’ai pas fait de travail particulier depuis que j’ai mon enfant. Elle est bien ta question, je ne sais pas… mais non je ne pense pas que ça a changé profondément ma musique. Mais c’est sûr que d’un point de vue logistique comme tu dis, la création s’articule différemment. Je ne crée plus dans les mêmes moments. C’est vraiment mon organisation qui a changé plutôt que mon propos en tant que tel. Ma vie intime est précieuse et je n’en parle pas beaucoup dans mes morceaux. J’en parle dans le dernier clip mais ma femme et ma petite sont floutées car je veux préserver mon intimité. C’est trop précieux pour le moment pour que je le partage dans ma musique. Je dois moi-même à titre personnel apprendre à accepter ce changement de vie et d’apprendre à vivre avec. Aussi apprendre à être un père, car si ma fille apprend à être une petite fille, moi j’apprends à être un papa. Ça s’apprend sur toute une vie je pense. Voilà tout ça me touche au plus profond de moi. Je suis pudique, je t’en parle car on se connait mais si quelqu’un d’autre m’avait posé la question je ne m’y serais pas attardé.
Les gens sont souvent surpris en me parlant en dehors de la scène. En dehors d’une scène ou d’un studio tu parles à Steven, tout simplement. Resca c’est celui que tu vas voir derrière un micro ou que tu vas croiser plus tard le soir. Il y a une dissociation que j’arrive moi à comprendre et peut-être un peu moins les autres c’est vrai. Mais j’essaie d’être doux, oui. Je suis quelqu’un dans l’amour, la haine et la colère m’ont passé. Steven est content d’être heureux. Resca c’est différent, il a beaucoup de trucs sur le cœur et pas mal de choses à dire, il fait ce qu’il peut. L’artiste fait ce qu’il peut pour être bien et Steven fait en sorte d’être bien. On a tous un vécu et Resca a plus de traumas que Steven, on va dire. Chaque identité a le droit d’exister, il y a en une qui existe dans la musique et l’autre qui définit qui je suis. Mais aussi, c’est du rap et j’ai beaucoup écouté de rap dans cette tonalité là et c’est un rap dans lequel je me retrouve. Ça ressemble à comment je me suis forgé dans cette musique et cette culture et comment j’ai envie de la transmettre. Ce que les gens ne voient pas c’est que j’ai fait aussi de la musique solaire mais je ne l’ai pas sortie. Je n’en ai pas encore envie. Quand Resca n’a pas envie de dénoncer la violence il a aussi envie de choses plus douces car il est bien aussi dans sa vie. Il écrit aussi des choses où le soleil, l’amour et la vie ou la joie sont mis en avant. Mais je suis assez pudique aussi sur ces choses-là. Et puis les autres sont plus forts que moi sur ces choses alors je le laisse aux autres (rires). Ce n’est pas encore assez mature à mon gout pour être mis en avant je pense. La musique est un exutoire oui, la mienne est assez violente, c’est vrai. Mais il y a plus violent que moi (rires). Ça reste juste la création de la musique telle que je la fais moi. C’est comme ça que je l’entends.
Oui, c’est une guitare et du chant ! C’est moi. On sort un album le 6 mai, entièrement produit par Kidnap. C’est un projet solo de ma part mais estampillé Opus donc il y aura pas mal de featuring dessus. Sur ce morceau-là, particulièrement, c’était le dernier morceau de l’album qu’on a créé. On se voit tout le groupe chaque mardi. Un mardi en amont, Kidnap nous fait écouter cette prod et on est tous un peu alcoolisés, tout le monde rappe dessus et moi je commence à rapper un texte que j’avais écrit mais qui n’était pas dans l’album. Kidnap me dit que c’est ce texte là qui colle au morceau et à cette prod. C’est un gros texte de 48 mesures sans refrain et il se trouve que le lendemain quand Kidnap m’envoie l’instru, je n’arrive pas du tout à le refaire. Je lui ai demandé qu’il me laisse 48 heures pour que j’arrive à caler mon texte dessus. Finalement j’ai réécrit le texte au complet sur cette prod qui m’a énormément inspiré. Le mardi suivant à la répétition je fais le morceau et tout le groupe me dit « let’s go ». Kidnap a fait toute la direction artistique de cet album, c’est lui qui a tout choisi, les titres, les clips etc. ça m’a plu de créer comme ça. Il a validé ce morceau et il est sorti, on est ravis de l’avoir fait. C’est une des couleurs qui manquait sur ce projet, un no-beat, et je n’avais jamais trop exploré ce truc-là. C’est pour ça qu’on a sorti ce titre en premier, pour prendre les gens à contre-pied comme tu dis. J’ai pu les amener sur autre chose. Ce n’était pas une envie préméditée mais ça s’est fait assez naturellement.
Merci à toi ! j’espère avoir répondu aux questions comme tu le voulais.
Merde (rires).
Propos recueillis à Tunis, le 25 avril 2025, par Aneeway Jones
Droits photos: Resca