C’est vachement large (rires). Qui je suis. Je suis un expatrié annécien arrivé à Grenoble en 1992, juste après les J.O. d’Albertville. J’avais envie de changer d’air et de changer de ville, je sentais que je n’allais pas vraiment évoluer là où j’étais. Donc le fait d’arriver dans une ville où je connaissais très peu de monde m’a permis de découvrir plein de choses et plein de gens et une ville plutôt cool. J’ai fait quelques études ici en école de commerce. Ensuite j’ai connu certaines personnes et j’ai fait ma première soirée électro. J’ai donc connu l’émergence d’un style musical. Et puis tout ce groupe d’amis qu’on était, on est tous partis en vrille, et vas-y j’ai envie d’être DJ, j’ai envie de faire de la zik. On s’est tous et très rapidement passionnés pour ça. Bien sûr à l’époque internet n’était pas là, il n’y avait que le vinyle. On a voulu participer à l’histoire. On s’est fait remarquer à un niveau international car il y avait très peu de disques produits en France, c’est allé assez vite car on était les premiers avec Paris et Lyon. Il y a des carrières qui ont émergé. J’ai toujours fait ça mais pas à cent pour cent. Je n’ai pas été un artiste à cent pour cent mais ça fait tout de même 30 ans que je suis dedans et je continue. Je suis toujours sur des projets et à composer seul et je prends toujours autant de plaisir. Ça m’a aussi permis de beaucoup voyager et ça c’est vraiment cool car j’ai rencontré beaucoup de gens qui avaient la même passion dans des pays étrangers, ça m’a beaucoup enrichi, de voir que où que tu allais dans le monde, quand tu étais passionné par un style musical, tu retrouvais des gens qui te ressemblaient. Des gens qui aiment la culture, la liberté. C’est une belle expérience de vie.
L’Amérique du Sud m’a beaucoup marqué. Mon premier voyage, qui était aussi mon premier long courrier d’ailleurs, c’était le Brésil. A Sao Paulo, c’était intéressant mais pas percutant. C’était début 2000. Je pense que le pays qui m’a plus marqué, c’est l’Argentine. J’ai vraiment accroché. Les Etats-Unis ce n’est pas « bonne ambiance ». Même avant que Trump revienne, ils se cherchent un peu je trouve les Américains en ce moment. J’ai fait la Colombie aussi c’était énorme. Tu vas dans un club et c’est une super expérience car les gens sont très expressifs. Je voyage beaucoup avec Olivier (Oxia), et là je risque de retourner au Chili. Bilan carbone un peu limite c’est vrai… Sinon on a la chance d’habiter en Europe et pour les musiques actuelles c’est plutôt cool.
Non, non pas encore. Avec Caroline (Miss Kittin) et Michel (The Hacker), on s’est rencontrés dans une rave à Aix-Les-Bains figure toi. On n’était pas si nombreux à aller dans ce genre d’évènements alors on retrouvait souvent les mèmes personnes. Ils étaient comme moi, passionnés de découvrir un nouveau style musical et de pouvoir participer à des évènements. C’est arrivé quelques années après. Ensuite Miss Kittin a quitté Grenoble, d’abord pour la Suisse et ensuite l’Allemagne. Sans oublier Oxia et Kiko bien sûr, qui lui était arrivé de Valence.
Il n’y avait tant de lieux à l’époque. C’étaient des raves, des soirées qui se faisaient dans la région et au-delà. C’étaient des évènements d’ailleurs souvent organisés par des Lyonnais. Ils ont été très actifs dans l’organisation d’évènements. Ils ont fait venir plein d’artistes qu’on découvrait au fur et à mesure. Quand on organisait des soirées techno on était plutôt des hors-la-loi on va dire. Il y a en a eu dans les grottes de la Bastille (rires), une fois ça n’a pas loupé, la gendarmerie est arrivée. Il y avait aussi des soirées dans des forts, le Fort de Comboire etc. Ensuite Kiko a ouvert son magasin et on a eu accès aux disques et au fait de pouvoir mixer et pour certains commencer à faire de la musique. Quelques temps après, le Vertigo a ouvert. Camille le patron a fait venir des artistes et a beaucoup apporté à Grenoble. Il a fait venir plein de gens ouf, Jeff Mills, Laurent Garnier etc, ça a duré 20 ans. Mais au début il n’y avait pas grand-chose, on se retrouvait à droite, à gauche. On faisait 100, 200 bornes et on se connaissait tous. Il y a eu aussi l’An-Fer à Dijon qui avait ouvert vachement tôt et le Rex à Paris. Mais à Grenoble on n’avait pas encore d’endroits comme ça. Ensuite il y a eu l’époque de la MC2 et plus tard la Belle Electrique. L’époque MC2 a quand même duré 7 ou 8 ans. Il y avait des mecs, comme Alban, qui a la base était à Radio Campus, qui a quand même fait venir Mehdi. DJ Mehdi est passé à la MC2, Alban a toujours eu du flair. C’est un truc de ouf. Il n'y a pas longtemps quand j’ai regardé la série reportage sur DJ Mehdi j’y repensais. On a passé la soirée avec ce mec qui était d’une gentillesse incroyable.
Quelque part oui, mais je dirais un peu moins dans l’autre sens. Ceci dit l’électro pur, en termes de rythmique ressemble beaucoup au hip-hop, au rap d’aujourd’hui. Je dirais que le style qui a plus fait le pont dans l’autre sens, c’est le trip-hop. Ta question est intéressante mais je pense que ça l’a moins fait dans l’autre sens.
Le plus gros pont entre les deux cultures c’est quand Thomas Bangalter (de Daft Punk) reçoit un appel de Mehdi. Bangalter qui venait de refuser une énorme star américaine, a tout de suite accepté la proposition de Mehdi pour le morceau et le clip (il s’agissait d’une collaboration avec le groupe 113, NDLR). Le lien s’est fait dans les deux sens. Mais c’est vrai que dans l’électro, il y a aussi beaucoup de gens qui viennent du rock indé et de la new wave et qui ne s’étaient pas nécessairement intéressés au rap. Moi j’ai eu la chance d’avoir des potes qui m’ont fait découvrir le rap et j’en écoute encore aujourd’hui. Je trie, évidemment mais j’en écoute avec plaisir.
C’était, comment dire… c’était un soulagement. Je ne sais pas comment t’expliquer, une fierté… on s’est dit : « putain enfin, ça se démocratise » et c’est souvent avec des groupes comme ça, regarde Nirvana, le grunge. On a tous halluciné. C’était pas du tout critique pour Daft Punk, au contraire. Après c’était la grosse période du sample, c’est ce qu’on pouvait faire de mieux en sample. Il valait mieux que ce soit eux plutôt que n’importe qui d’autre. On s’est retrouvé avec un groupe qui était au niveau en qualité et ils ont donné à la France une identité électro de bonne qualité. On hallucinait je te le dis.
Bien vécu je trouve. Paris avait trouvé son identité bien que nous à Grenoble on avait une identité plus underground. Tu vois Bob Sinclar a sorti des tueries, notamment son premier album. Et puis tous les groupes qui ont découlé de ça, c’est une fierté française. Quand tu vois comme ça a cartonné à l’étranger. Comme ils disent dans le reportage sur Mehdi, c’était la première fois que la France se démarquait dans un style musical. Ce n’était plus l’Angleterre et les Etats-Unis. Evidemment ça sert à tout le monde, même si tu fais des choses plus underground. J’ai une très bonne image de la french touch et de ceux qui la représentent. Quand les artistes sortent des trucs je vais les écouter, ce ne sont pas des choses que je vais forcément jouer mais que j’écoute avec grand plaisir. Chacun a fait avancer le truc.
De l’électro, déjà, de l’électro pur. Du trip-hop. J’ai écouté beaucoup de trip-hop. Et les vagues de minimale, de techno américaine. J’ai beaucoup d’influences… la transe aussi. Et le hardcore. Mais la transe au début, surtout les Allemands, c’était énorme ce qu’ils faisaient. Et puis toutes mes vieilles influences, le rock indé, la new wave.
En termes de production… alors je ne suis pas au courant de tout mais je crois qu’il n’y en a pas tant bien que certains commencent à émerger. Il y a plus d’émergences de DJ’s que de producteurs. Et aussi beaucoup de gens qui font de l’évènementiel. Et puis il y a aussi des gens que tu découvres et tu te dis « putain lui il est grenoblois ! ». Après aujourd’hui c’est plus difficile de se démarquer avec internet, le digital tout ça, il y a tellement de monde. Mais il y a des gens qui sont là, je pense à Rudolph d’Icone, il y a des artiste qui font de la musique de qualité. Le côté qualitatif grenoblois s’est instauré. Mais je ne connais pas tout le monde non plus et je découvre toujours des gens. Nous on a quand même tous 50 balais maintenant (rires).
Il y a toujours la Belle Electrique. Toujours l’Ampérage et le Drak’art. Il s’y passe toujours beaucoup d’évènement. Et puis il y a un nouvel endroit, l’Austra Rock à Neyrpic. Ils sont en train de se développer. Le Papa Club aussi (le Vieux Manoir) qui continue d’œuvrer. Ce n’est pas un endroit où on va beaucoup mais c’est bien que ça existe.
Il n’y a rien que j’aime plus que le musique je t’avoue. Mais c’est vrai que grâce à mon deuxième métier je me suis passionné pour le vin. C’est un milieu qui est assez ouf et je fais des parallèles avec la musique. Il y a des stars… il y a des mecs qui font du vin et qui sont des artistes. Mais rien n’est plus puissant que la musique en ce qui me concerne.
Normalement je fais une Belle Electrique une fois par an au mois de décembre. J’espère en refaire une en décembre prochain, inch Allah. Je joue aussi à l’Ampérage et de temps en temps dans les bars, au Charivari par exemple, qui a ouvert il y n’y a pas longtemps et qui est ouvert musicalement. C’est un bar musical. Il y a aussi le Hood qui fait jouer des mecs un peu décalés comme Alex Do Brasil qui est juste énorme, il d’origine brésilienne et il joue un grand mélange d’influences, c’est vachement bien.
C’est dur comme question ça. Je dirais des vieux de la vieille comme Garnier et Jeff Mills je pense. Ils font parti des plus iconiques. En termes de production mais surtout en termes de prestation. Ce sont eux qui m’ont le plus marqué.
Merci à toi ! préviens quand tu es dans le coin.
Propos recueillis à Tunis, par Aneeway Jones, le 6 février 2025.
Droits photos: Yannick Baudino