Ah ouais le soleil tape déjà fort là ?
Bah il fait beau là, il fait 20, 20 dégrés.
Pareil ici, bon c’est pareil finalement. Qu’est ce que tu fais tu rentres quand ?
Le mec est de retour.
Sympa, Elon Musk ! Ok ! Et tu t’occupes comment là bas ?
Putain. Tu es devenu un homme blanc.
(rires) mais non, j’ai du annuler.
(rires) l’interview est terminée ?
Non, on a du reporter la date car il n’y avait pas assez de réservation. C’est pas très glamour, mais comme je suis à 1 heure et demi de bagnole tu vois, il n’y avait aps assez de réservation pour au moins payer l’essence. Ça devait se jouer au Trankilou, ça me convient bien moi ça en plus. La dernière fois à Grenoble j’avais joué à la Belle Comédie. Je m’amuse bien à Grenoble, les gens que j’ai pu croisé ont un vrai appétit pour l’humour « société / poétique » , j’aime bien ce public un peu… un peu… un peu énervé, un peu agité me plait bien…
En fait j’essaie de ne pas dire le mot « gauche » tout le temps. En fonction des gens à qui je présente mon spectacle, je dis que c’est un chagrin de gauche. La détresse de gauche. Cette espèce de diabolisation de la gauche qu’il y a en ce moment. Je ne parle pas que de politique mais c’est vrai que c’est un peu le fil rouge du spectacle, c’est une réaction face à ces inquiétudes que l’on peut avoir. Quand tu vois l’homme le plus riche du monde faire des saluts nazi et que les journalistes se disent « c’est pas un salut nazi non non ». Journaliste c’est un métier du passé, on ne peut plus compter sur vous, c’est un peu dingue. L’actualité est reportée de manière un peu bizarre et ils comptent sur les humoristes pour dire les trucs. Tu vois ?
Dans les medias mainstream quand ils ont du mal à appeler un salut nazi un salut nazi, moi ça m’interpelle de ouf. Dans le Monde c’était écrit ça « un geste qui ressemble à un salut nazi ». Le Monde ça ressemble grave à un journal mais c’est pas un journal… Si tu me dis qu’on va aller recueillir l’avis des gens qui pensent que c’est une maladresse et l’avis de ceux qui pensent que c’est de l’autisme, tu vois… ce n’est pas ça le journalisme, ce n’est pas recueillir l’avis de tout le monde pour dire le moins de chose possible. Ça m’interpelle car j’étais journaliste avant. Quand je dis « ils », comment dire… au niveau de la télé, des débats etc, il y a du bruit tout le temps mais il ne se passe pas grand-chose d’intéressant. C’est soit des médias de milliardaires soit Médiapart. C’est le grand écart quoi.
Non ce n’est pas qu’ils se droitisent, mais ils sont très isolés, tu prends L’Huma… Effectivement je lis L’Humanité, mais bon qui lit ça, combien de gens ça représente ? Quel est le poids de ce type de médias ? Par rapport à tous les autres médias qui enveniment la situation, bon je ne parle pas trop d’humour… mais j’ai l’impression qu’il y a un abandon de poste de beaucoup de journalistes. Pareil pour la Palestine, tout le monde dit un truc un peu vague de type « c’est la guerre entre Israel et le Hamas etc », mais en fait tout le monde se fait bombarder, «des femmes et des enfants etc »… ça veut dire quoi des femmes et des enfants ? Les hommes ne sont plus des innocents car ce sont des hommes ? Tu peux être plombier et rien à voir avec le Hamas et te faire bombarder la gueule et tu es quand même un innocent sans être ni une femme ni un enfant. Il y a une sorte de glissement déshumanisant.
C’est ça. Je ne suis pas quelqu’un d’hyper frontal dans l’humour. J’aime bien faire les choses un peu « l’air de rien » tu vois. Je ne veux pas être donneur de leçon mais ces inquiétudes, ces angoisses, ces préoccupations, je les ai. Je me dis que je ne dois pas être le seul à les avoir donc j’ai envie d’en parler.
Ecoute depuis, on a gagné un petit prix, un prix sympa à Los Angeles, au L.A. We Fest, le prix de la meilleure réalisation donc j’étais bien content et on a eu un super article dans Télérama, on a eu 4 T qui est la nouvelle note maximale, je n’ai pas bien compris pourquoi l’article dans Télérama est sorti 2 ans après la série mais j’étais content car cette saison 2 avait eu peu d’écho par rapport à la saison 1. Donc je m’étais demandé si j’étais le seul à la trouver bien alors que c’était de la merde. Donc en voyant tout ça je me suis dit que je n’avais pas complètement déliré. Il me semblait bien qu’on avait fait un bon truc. C’était sorti pendant l’été (2022), un peu dans l’indifférence générale et avec très peu de relai médiatique. Merde ça fait plusieurs fois que je dis qu’il y a un truc qui ne va pas avec la presse (rires). Pour la saison 1 on avait eu plein de presse, aussi bien Télérama que France Inter et plein de trucs. Europe 1, Europe 2. Europe 2 ça existe non ?
Tu connais mieux que moi… mais oui pour la saison 1 il y avait eu des dizaines et des dizaines de trucs et là pour la 2 je me dis « merde »… ça m’avait découragé car j’avais l’impression d’avoir fait un meilleur boulot, aussi bien avec les acteurs qu’avec l’animation qu’on a amené avec Anouk Ricard qui a gagné un prix au Festival de BD à Angoulème. Toute la partie cartoon. Ça m’a déprimé. Je me suis à ce moment là vraiment lancé dans le stand-up. J’avais joué 2 ou 3 fois avant le Covid, mais j’ai vu une porte se fermer niveau réalisation et une autre s’ouvrir côté stand-up, donc j’y suis allé. Un sorte de fuite en avant.
Si tu veux j’avais eu une sorte de déclic, j’étais à New York le jour de mon anniversaire, j’avais 36 ans, j’étais allé tout seul dans un comedy club et j’avais vu Louis CK, qui était en rodage, c’était au moment où il était à son prime, avant que ne soit révélé son dossier Me Too, des affaires de branlettes. Donc c’était avant ces affaires là et je le vois de façon un peu fortuite, en rodage, alors que je venais voir un plateau avec des inconnus. Mais je me retrouve à le voir lui, jouer pendant une heure et ça m’a bouleversé, ça a été un grand tournant dans ma vie car je me suis senti tellement heureux et euphorique… Je me suis alors dit qu’il fallait que je mette de la comédie dans tout ce que je faisais. C’est ça que j’aime, la comédie, être marrant etc. C’est pour ça que dans Lost in Traplanta il y avait beaucoup de comédie bien que c’était une série documentaire. Le tournant de me retrouver seul sur une scène pour faire de la comédie s’est fait progressivement. Quand j’étais en tournage à Atlanta avec Kody qui fait aussi du stand-up et qui jouait le rôle principal, il recevait les textes de ses co-auteurs et on discutait de ces textes, on remaniait les blagues ensemble. Il m’a demandé alors de lui écrire des blagues et à partir de là j’ai compris que je pouvais écrire des blagues pour moi-même et je me suis lancé début 2020.
Oui. Ça se fait beaucoup, à peu près toutes les personnes qui marchent là-dedans ont un co-auteur. On appelle ça souvent un metteur en scène en stand-up d’après ce que j’ai compris. Quand tu entends Waly Dia dire des choses très personnelles et très tranchantes, il a un co-auteur qui s’appelle Mickael Quiroga. Même Aymeric Lompret et Pierre-Emmanuel Barré sont co-auteurs. Tous les gens qu’on cite savent écrire leurs blagues mais ils ont une personne qui les accompagne pour donner de l’eau à leur moulin. Ce ne sont pas des ghost writers. En tout cas parmi les gens que je viens de te citer il n’y a pas de gens qui ne sont qu’interprètes.
Oui, c’est un peu ce que je te disais tout à l’heure avec le problème dans le journalisme. J’ai l’impression que dans les médias mainstream les journalistes sont très en retrait alors ils prennent des humoristes pour dénoncer les choses, pour faire les choses qu’ils n’osent pas faire. Moi-même je suis un peu débile et je lis peu la presse, il y a plein de choses que je découvre car je regarde du stand-up tout le temps. Ma radio ininterrompue à moi, c’est le stand-up, beaucoup américain et français pour ceux que j’ai cité. J’imagine qu’une partie du public est comme moi. C’est aussi un peu dur car les humoristes se retrouvent en première ligne, à devoir assumer le propos. Alors que normalement on est les clowns au fond de la salle de classe. Normalement le premier rang c’est pour ceux qui travaillent bien et qui sont sérieux. On est censés regarder les choses avec un œil décalé.
Dans mon cas, je pense qu’il est important de tourner en positif les choses qui m’ont fait du mal. Alors si j’arrive à en rire, c’est une façon de se retrouver au-dessus de la souffrance. Si tu arrives à faire un petit pas de côté alors tu es déjà un peu en train de gagner. Que ça soit la maladie, la mort ou la solitude… Comme disait Raymond Devos « la comédie, c’est endosser les préoccupations des gens pour les en débarrasser ». Parfois quand je suis un peu perdu dans mes idées alors j’essaie de revenir à cette notion. Je me demande si je peux débarrasser quelque chose chez quelqu’un. Je veux pouvoir me servir de la comédie pour rendre ce service-là. On peut rire de tout dans la mesure où respecte le public ou la personne qui est en face. Faire de l’humour c’est un peu comme danser avec une personne. Ça arrive de marcher sur le pied de la personne mais il ne faut pas faire comme si de rien n’était. Tu t’excuse et tu essaies de ne pas le refaire. Il faut savoir bien lire qui on a face de soi. Parfois on peut faire rire un public avec quelque chose qu’on n’est pas censé dire mais c’est la raison pour laquelle ça devient drôle. L’important est que tout le monde se comprenne en évitant les blagues crasses ou gratuitement méchantes.
En tant que pratique humoristique je n’en vois pas beaucoup, moi-même en tout cas je ne suis pas à l’avant-garde de ça c’est sûr. En tout cas on faisait tous ça au lycée quand on jouait au basket ou au foot avec nos potes, ce n’était que du roast. Donc oui je pense que c’est quelque chose qu’on peut faire. Si tu veux pour roaster quelqu’un c’est quand même un honneur donc il faut beaucoup l’aimer. En France l’humour est très politique alors on a plus tendance à faire des papiers sur des gens qu’on n’aime pas.
Alors est-ce que c’est vraiment du roast ? ou alors les descend-il littéralement. Mais ça ressemble à l’exercice du roast. Il était à Davos une fois il me semble ou chez Nestlé. Il a un cran énorme ce Thomas Wiesel. C’est un cas à part car en plus il est invité pour faire ça. Je ne sais pas trop ce qu’ils se disent mais ça ne m’étonnerait pas que les personnes qui l’ont invité ont été virées après. Au moins changé de bureau.
A l’Ouest car au début j’avais calé une salle pour jouer mais je n’avais qu’un mois pour écrire le spectacle. J’ai toujours été un peu à la ramasse. Il y a plein de trucs qui me sont arrivés et que j’ai compris 20 ans après. C’est une constante dans ma vie. Ça m’a semblé être le titre le plus adéquat. Après, quelqu’un qui est vraiment à l’ouest, est ce qu’il réalise vraiment qu’il est à l’ouest ? probablement non…
Oui c’est vraiment effrayant, mais j’ai l’impression qu’on a toujours trouvé le monde effrayant avec nos parents, nos grands-parents, ils ont grandi dans la Guerre froide, ils croyaient à une apocalypse nucléaire, finalement ce n’est pas arrivé. Tout le monde n’est pas effrayé par la même chose, certain ont peur de se faire « islamiser » et de tous devoir porter le voile…La peur touche beaucoup de monde, chacun a la sienne. Mais c’est vrai que Trump avec Musk, on est face à quelque chose d’inédit et j’ai le sentiment que l’Histoire s’accélère. Heureusement que j’ai l’humour pour ne pas devenir dingue, sans te dire que je bascule totalement dans l’angoisse. Donc oui je pense que l’humour est l’un de ces derniers remparts. Mais si tout le monde est angoissé ou terrorisé, si on peut au moins se retrouver et ensemble avoir un peu de fun et de légèreté, ça ne peut que faire beaucoup de bien. Moi en tant qu’humoriste ou moi en tant spectateur, je trouve que plus c’est grave et plus c’est douloureux alors plus c’est drôle à la fin. C’est vital. Quand à travers la souffrance tu vois un petit chemin vers le rire c’est salvateur, c’est de la lumière.
J’ai dit un peu de la merde au début sur les médias on va croire que c’est l’interview d’un complotiste.
Tu as vraiment cru qu’il n’y avait aucun complot ? (rires), tu ne mets pas ça dedans hein ? Merci à toi Sully, fais-moi signe quand tu es dans le coin.
Propos recueillis à Tunis par Aneeway Jones le 10 avril 2025.
Droits photo : Mathieu Rochet.