Je me suis dit qu’il fallait que je fasse jouer les artistes de Marseille à Marseille. Et comme la ville a un regain de popularité depuis un moment et que les gens ont envie de venir à Marseille. Ça fait donc une pierre deux coups pour venir visiter la ville et venir au festival car il est aussi bien sûr pour les gens de l’extérieur. Je voulais mettre les artistes marseillais en avant, les artistes féminins, masculins, les dj’s, sur deux jours et dans un lieu évidemment historique qui est la Friche de la Belle de Mai où je travaille souvent et qui est au cœur de Marseille à côté d’un quartier populaire. Ce n’était pas évident mais je voulais le faire, la première édition s’est très bien passée, j’espère que ça sera pareil pour la deuxième.
Il y avait Relo, le 3eme Œil, Faf Larage, So La Zone, Kalash et plein d’autres. Des artistes en développement, des légendes, d’autres de la nouvelle scène. Le but est aussi de faire découvrir.
Oui j’ai essayé d’équilibrer. Le but était de donner aux anciens et à ceux qui écouteront le rap de demain l’envie de venir écouter du rap marseillais et d’échanger. On a eu des parents avec leurs enfants, certains qui venaient pour So La Zone et d’autres pour Faf Larage. Les parents faisaient découvrir des artistes à leurs enfants et vice versa, c’était important pour nous. Les shows sont assez rapides, c’est 10-15 minutes pour tous les artistes et 20-25 minutes pour le dernier qui passe. Afin de pas s’emmerder et de découvrir.
Le festival est étendu sur deux demi-journée, ça commence à 16h avec des contests. L’année dernière c’était un contest de danse organisé par une troupe qui avait fait « la France a un incroyable talent ». Le 2ème jour c’était un contest de rap avec un price money. Ensuite vers 19h30 20h on enchaîne avec les concerts. Il y a aussi un village avec des stands de merchandising avec des marques marseillaises, des food trucks. Histoire qu’il y ait une vie. Il y a aussi une radio qui soutient l’évènement en faisant des interviews. C’est sur deux jours de 16, 17h jusqu’à minuit 1 heure du matin.
Non, je n’ai annoncé que le parrain, qui est Akhenaton. Mais bon je peux t’en parler…
J’interviens en tant qu’organisateur et j’accompagne les groupes sur scène. C’est ma façon à moi de participer. L’année dernière j’ai soutenu les artistes sur scène avec Dj Riddle et Dj Soon. J’aurai à nouveau un binôme de dj’s avec moi cette année.
C’est le parrain donc il soutient le projet. Si jamais il veut venir un soir faire un titre ou deux ça serait royal, s’il a envie d’être là en présentiel. C’est important pour nous d’être soutenu par des rappeurs. La première édition c’était Demi Portion bien qu’il soit de Sète, mon idée vient aussi d’idées comme le Demi festival ou le Scred Festival. Faire un truc par nous et pour nous. Par des activistes de la culture et des gens qui connaissent le terrain et le mouvement rap. Être soutenu par Akhenaton, évidemment… Pour moi c’est une évidence car c’est LE personnage qui a développé le rap marseillais. Celui qui a permis au rap marseillais de sortir du lot avec une identité certaine. Et même du rap national d’ailleurs. Mais il a influencé notre identité de manière incontestable. Il a une vision politique et culturelle qui est hyper intéressante et qui est très rare chez les rappeurs et c’est le mentor, la figure de proue, le numéro 1 pour moi du rap marseillais. Sans lui ça aurait été différent.
Oui ! J’étais fan d’IAM, je reste fan d’IAM. C’est mon histoire, c’est ma fierté. Souvent on me dit « à Marseille il y a l’OM et IAM ». Aujourd’hui il y a l’OM et Jul, effectivement les époques changent mais pour moi ça restera les gens qui m’ont donné envie de faire cette musique, j’ai une énorme reconnaissance. Quand je parle de Chill, je parle évidemment d’IAM, Jo (Shurik’n) est hyper important pour moi, Kheops, Imhotep, Khephren, ce sont des moteurs. Je leur dois et j’essaie de le leur rendre sous cette forme-là.
Une boussole je ne sais pas, mais une référence c’est sûr. Les thèmes ont changé, musicalement et textuellement les styles ont changé, techniquement aussi. Mais je pense que chez nous à contrario du rap parisien, on ne se demande pas qui est IAM. On le sait. Même si certain se disent qu’ils s’en foutent du rap, ils savent qui est IAM et par où ça a commencé.
Je pense que ça fait de nous des êtres à part. Les martiens. Parfois les gens hallucinent qu’il n’y ait pas une forte violence à l’intérieur du mouvement rap. Je pense que l’image du rap marseillais n’aurait pas était la même… Soprano, Jul, la FF, le 3eme Œil, SCH, Alonzo… pour ne citer qu’eux. Une singularité je ne sais pas mais une simplicité en tout cas. C’est un art de vivre que d’être marseillais. Aujourd’hui des gens viennent de l’extérieur pour prendre un peu de cette lumière. Mais si on n’a pas la culture, on ne peut pas sentir rappeur marseillais ou rappeuse marseillaise je pense. Il ne faut pas être né à Marseille pour être marseillais mais il faut être culturellement marseillais. C’est une ville qui est faite d’étrangers, mais pas uniquement au-delà des frontières, ce sont des gens de Dijon, de Paris, de partout en France, qui viennent enrichir la ville. Apporter quelque chose de ce qu’ils sont et prendre quelque chose de la ville. Ma plus grande peur est de perdre ce côté-là. Que Marseille devienne une ville comme Bordeaux, comme le devient Lyon. Moi j’aime Paris parce que La Scred, Assassin, Puzzle, NTM, j’en passe et d’autres, parce qu’ils étaient profondément parisiens. MC Jean Gab’1, les titis parisiens, il y a une identité parisienne. On peut aussi parler de Grenoble avec Jeff Le Nerf, Caen avec Orel San, Le Havre avec Médine, Toulouse avec Big Flo & Oli et KDD etc. Pour moi cette identité est hyper importante. C’est pour ça qu’on a autant kiffé le rap américain, car il y avait de très fortes identités. Los Angeles, New York, Philadelphie. L’identité est importante.
Oui. Clairement. Totalement. Je te le répète j’ai peur de cette perte d’identité. Pour moi, être rappeur marseillais c’est être différent donc d’apporter quelque chose de différent. C’est important de la mettre en avant cette identité bien que je ne sois pas identitaire. Je pense qu’il est important de garder ces racines, comme pour moi et mes origines. Je ne dis pas que l’Algérie coule dans mes veines mais je me sens algérien comme je me sens français. Mais avant tout, je me sens marseillais.
C’est une menace pour la société, totalement. Pour tout genre de société, j’ai vécu à Atlanta l’année dernière pendant quelques mois. Et la ville d’Atlanta change comme Marseille. C’est-à-dire qu’ils ont été moqués par leur accent etc. Mais ils ont ce truc de l’hospitalité du sud, ils savent accueillir les gens même s’ils n’ont rien. Les villes grossissant à la limite de l’explosion, ou de l’implosion, les gens bougent et vont voir ce qu’il se passe ailleurs. Si c’est moins cher, qu’il y a une qualité de vie différente, et c’est ce qu’il se passe à Marseille mais aussi à Sète, à Montpellier etc. Les gens viennent, gentrifient. Il y a un bon côté de la gentrification, on repeuple une terre, on se mélange et on crée une nouvelle richesse, on amène de nouvelles idées et on relance une économie. Mais il ne faut pas que cette économie soit abusive, il ne faut pas non plus que ça rejette certaines populations en dehors de la ville, aux abords de la ville. On sait que Marseille a un centre-ville populaire et Noailles devient un quartier bobo, quand je dis bobo c’est le côté négatif de la chose car il y a aussi le côté bobo positif. Mais là tu vois les prix augmentent, les gens issus de la ville ne peuvent plus se loger et sont obligés d’aller vivre à Bel Air, à Salon etc. C’est compliqué. Quand tu aimes une ville, quand tu y as grandi mais que tu dois la quitter car tu y es obligé c’est très dur. Ce côté-là de la gentrification me fait très peur car les pouvoirs en place, les politiques ne font pas vraiment d’efforts. Le danger c’est qu’un jour en France toutes les villes se ressemblent. Alors évidemment il y a des architectures qui se ressemblent historiquement comme les Haussmann les trucs comme ça mais à un moment donné, si tous les rond points des centre-ville sont pavé de la même façon, s’il n’y a que des Zara, des Foot Locker des H&M dans nos rues commerçantes et qu’il n’y a plus de petits créateurs et qu’on ne mélange pas… Si dans un quartier populaire on n’a pas la mamie, le bobo, le bar historique et le petit café nouveau qui vient de s’ouvrir, si on n’a pas tout ça c’est dangereux. La mamie va se perdre, beaucoup de gens vont se perdre et il n’y aura pas de vraie identité et de vraie vie. Il ne faut pas être à l’épreuve uniquement de la consommation, je ne suis pas fan de ça. J’aime bien avoir une vie de quartier, connaitre mes voisins, ça fait parti aussi d’un réseau de sécurité, de lien, de vie et de sociabilité qui est important pour moi.
Fonky Family. Enfant de Marseille et nouvel enfant de Marseille. Des gens qui sont venus vivre ici et se sont sentis profondément marseillais. Un coup de chance, du travail, du talent peut-être mais la chance de pouvoir dépeindre une époque. Une époque qui est une des plus belles du rap français. Et tout ce que ça comporte, pas que du rap, parler de la vie des gens. Malheureusement ça n’a pas changé mais j’ai l’impression que l’état des lieux était bien fait.
C’est mon groupe, c’est ma deuxième famille. Parfois elle est même passée au stade de première famille. Ce sont des gens avec qui j’ai grandi et que je respecterai jusqu’à la mort. Avec qui j’ai partagé des galères, avec qui on s’est battus. C’est l’histoire de ma vie, s’il n’y avait pas eu Fonky Family je serais devenu quelqu’un d’autre et certainement moins heureux qu’aujourd’hui.
C’est mon quartier quelque part car c’est Belsunce, c’est Noailles. C’est de l’autre côte de la Canebière. C’est triste, ce sont des vies perdues à cause de personnes qui font du blé sur la misère des gens. Ce sont les pouvoirs en place qui ne se bougent pas plus que ça. C’est devenu ce que c’est… en bas de la rue il y a une nouvelle vie et en haut de la rue il y a une ancienne vie et c’est bizarre ça ne correspond pas. Alors est-ce qu’on fait de l’argent sur la misère des gens ? Est-ce qu’on crée de la richesse sur un cimetière ? J’ai du mal avec la rue d’Aubagne. J’ai connu très tôt cette rue, mon frère fréquentait le Bar de la Fontaine. Je suis passé devant ces immeubles des milliers de fois, j’ai grandi dans ces rues. C’est triste qu’il n’y ait pas autant de messages et de mots autour de ces gens qui sont décédés pour rien.
C’est loin de chez moi. C’est beau mais je ne suis jamais entré dedans. L’idée m’a toujours épaté, très futuriste mais à la fois très carcérale.
C’est en ce moment ma deuxième maison, je travaille au Vélodrome, je joue pour l’Olympique de Marseille. L’Orange Vélodrome. Jamais je n’aurais cru ça de ma vie. Ça reste l’endroit où je suis venu quand j’étais gamin. On me faisait rentrer. Quand la plupart des supporters étaient rentrés on faisait entrer les enfants gratuitement. On était au bord du stade. C’est là où on a gagné la Coupe d’Europe. C’est là où des milliers de Marseillais, peu importe leur couleur, leur religion ou leurs choix politiques ont sailli comme un seul homme pour supporter leur équipe, l’Olympique de Marseille. C’est un endroit de légende, un endroit historique et qui fait parti de l’identité de chacun de nous.
La Friche de la Belle de Mai déjà c’est l’endroit où le père d’un ami travaillait car c’était une usine de tabac. J’y suis allé avant que ça devienne la Friche. Gamin je trainais dans les rues avant que ça devienne la Friche. Quand c’est devenu la Friche, mon groupe préféré y avait un local. On était dans le rap mais on n’était pas connu et on allait voir IAM dans leur local. C’était incroyable pour nous et ensuite en travaillant avec eux, ils nous ont laissé leur local. Très tôt j’ai squatté la Friche de la Belle de Mai et aujourd’hui j’y travaille, j’y expose. J’ai un ami qui y avait son magasin de skate, j’avais mon émission de radio là-bas. C’est ma deuxième maison à l’année et c’est une fierté pour moi d’être au Cabaret Aléatoire où j’ai joué avec Kendrick Lamar, Dogg Pound, Mos Def. C’est assez fou.
Merci à toi frérot, tu me diras quand c’est en ligne ? C’est super gentil de t’intéresser au festival, si tu es à Marseille à cette période, tu le sais, tu n’hésites pas du tout hein !
Propos recueillis à Tunis par Aneeway Jones, le 27 janvier 2025.