Je suis Sarah Gautier, je suis artiste, dessinatrice. Je suis chercheuse à l’origine mais maintenant je fais du dessin, et de la musique. J’ai fait une thèse en chimie théorique sur un sujet très précis et j’ai fait ensuite deux post doctorats sur d’autres sujets mais ça ne m’a pas plu donc j’ai arrêté. Aujourd’hui le dessin est mon activité à plein temps.
En août 2017 j’ai arrêté la recherche car j’étais malheureuse à mon poste. Je suis arrivée à Grenoble pour ça et je n’ai fait qu’un an et demi de mon contrat de trois ans. Je ne trouvais pas de sens à ce que je faisais donc je n’ai pas renouvelé les 18 mois restants du contrat et j’ai été au chômage. J’ai commencé à dessiner pour m’occuper avec un copain, un peu par accident. Mais je n’ai pas arrêté mon travail pour être dessinatrice, ce n’était pas un plan de carrière. Le dessin m’a beaucoup plu et occupé et j’ai été très productive rapidement. J’étais contente de ce que je faisais donc je le montrais à tout le monde et on m’a encouragé. Le gens trouvaient que j’avais quelque chose.
Quand j’étais jeune j’aimais les chevaux, je rêvais d’avoir un cheval et j’allais tout le temps à l’équitation. Donc je dessinais des chevaux d’après des photos de magasines de chevaux. Je les dessinais au crayon à papier et toujours de profil. C’était une façon de me les approprier, j’avais tout un centre équestre imaginaire. En les dessinant c’était les miens. C’était de mes 9 à 12 ans et j’ai arrêté ensuite de dessiner.
J’étais au chômage, je trainais avec une bande de potes, un peu la vie de la nuit mais j’ai toujours été très sage, plutôt sage. J’ai rencontré un mec et chez un de ses potes, un soir, qui avait des calepins et des poskas… je m’emmerdais un peu faut dire car dans ce genre de soirée à 4 ou 5 il ne se passe pas grand-chose. Alors j’ai apostrophé le gars pour lui demander s’il dessinait. Il m’a proposé de dessiner et par reflexe je lui ai répondu que je ne savais pas dessiner. Lui avait fait les beaux-arts. Il m’a proposé de se donner 3 minutes pour se dessiner l’un et l’autre, sans réfléchir, ce qui passait par la tête. J’ai trouvé ça drôle et par la suite quand je m’ennuyais un peu chez moi, je voyais ma chienne qui dormait près de moi alors je l’ai dessiné en me mettant un timer. Et j’ai vraiment kiffé dessiner ma chienne. C’est mon premier dessin qui compte. Ensuite j’ai dessiné ma chienne à nouveau mais cette fois avec le canapé en dessous. Et ensuite pareil mais jusqu’au bout de la feuille, comme je fais maintenant, avec tout. Il faut dire aussi qu’avant ça j’avais posé à l’école d’arts, et quand tu es modèle vivant, quand tu poses, tu entends le prof répéter tout le temps la même chose aux élèves. Donc j’ai appliqué tout ça dans mes dessins. C’est comme si j’avais déjà eu des cours. Ce n’est pas sorti non plus de nulle part. J’ai un sens de l’attention assez aiguisé, en posant j’ai retenu les raccourcis etc.
J’ai mis du temps à comprendre que c’est une question de regard sur le monde, du sens de l’observation, me demander ce qui est important pour moi. C’est presque symptomatique, l’hyper-attention. Dans la vie c’est assez épuisant mais quand tu te mets à dessiner c’est génial, car une chose qui t’handicape d’habitude devient ta force. C’est aussi jouissif de montrer aux gens ce que tu as produit et qu’il y a des bonnes réactions, ça m’a poussé à continuer.
Oui j’avais une expo sympa à Alter’art, c’est ma première galerie importante. Ils ont un carnet d’adresses, ils ont du monde qui les suivent. J’ai postulé deux fois pour y être et un pote me les a présentés. C’est une asso et ils ont du monde qui postule car ils s’organisent vraiment bien. C’est vraiment chouette d’avoir tous ces murs pour moi sachant que j’ai commencé à faire de la couleur il y a moins d’un an, ils sont venus me voir à mon atelier quand je commençais la couleur donc quand j’ai su que j’allais avoir une expo j’ai commencé à produire une série de bleus. C’est une galerie associative située rue Saint-Laurent, ils votent pour décider qui expose. Ils décident tous ensemble puis ils se déplacent dans les ateliers des artistes choisis. Comme je démarre je n’ai pas trop d’argent à investir pour me payer des galeries à Paris etc.
Pas vraiment car je suis très solitaire. J’ai côtoyé des assos notamment à travers la musique. Je trouve ça intéressant mais j’ai un peu de mal à fonctionner en collectif. Je ne suis pas individualiste car je vois vraiment l’intérêt du collectif mais je ne suis pas douée pour le groupe. Mais j’aime quand faire faire des ateliers, des interventions dans des écoles. J’ai envie de pouvoir m’inscrire dans la société de façon à porter ce que je peux et comme je peux. D’un côté gagner ma vie et… enfin si je pouvais je donnerais des dessins gratos à tout le monde. Je veux juste pouvoir faire ma petite vie tranquille.
C’est sûr que s’il faut être riche pour être artiste alors il n’y aurait pas beaucoup d’artistes sur Terre. Donc si par le biais de l’associatif on se regroupe, on crée des ateliers et que ça permet à des gens de créer et de faire des expos. Oui ça permet à des artistes peu visibles ou comme moi d’avancer c’est sûr que c’est très intéressant. Mais je suis un peu mal à l’aise de parler de tout ça car j’ai tellement peu d’expérience là-dedans. Mais évidemment ça permet aux gens d’accéder, à tout en fait, à l’art, à la musique, aux sports.
Eh bien je ne me suis jamais posé la question et c’est d’ailleurs la première fois qu’on me pose la question. En tout cas pas consciemment. J’ai commencé mon thème sur les maisons car je n’ai pas vraiment de racines, j’ai eu beaucoup de maisons différentes. Et la maison c’est la dernière couche de soi avant le reste du monde. Il y a ton âme, ton esprit, ton corps et la dernière couche qui est la maison, au-delà tu es dehors. Après, pourquoi pas le voir comme ça. Effectivement quand j’invite quelqu’un à mon exposition, je l’invite à voir le monde tel que je le vois. Je passe des heures à consigner les détails, à observer lentement car je ne fais jamais de correction. Dans une certaine bienveillance avec moi-même j’accepte mes erreurs. C’est marrant de voir ce qui sort de nos erreurs qui sont finalement nos forces car ça rend le dessin unique. Aussi je suis très speed alors ça m’apprend à ralentir, je suis tout le temps sur les réseaux ça me rend dingue de poster tout le temps. J’essaie de ralentir.
Je ne pense pas mais je ne fais pas de veille. Je me coupe des infos. Parfois je voyais des gens qui l’utilisaient sur Instagram mais j’ai arrêté de les suivre car c’était redondant. Je pense que c’est plus un danger pour l’humanité que pour l’art. Tant qu’il y aura des humains il y aura de l’art fait main, sans intelligence artificielle, je pense. En tout cas j’essaie de ne pas me faire piéger par une œuvre et de me renseigner quand j’ai un doute. L’IA c’est rigolo cinq minutes mais ce n’est pas très intéressant, pour moi c’est un gadget. Je ne pense pas en tout cas que ça menacera ma production de dessins ni mes ventes de dessins car les gens aiment le papier et en ont besoin. Il y a 20 ans on disait que c’était fini la peinture, qu’il fallait faire des montages sonores et visuels et la peinture est bel et bien restée. Je suis peut-être à côté de la plaque je ne sais pas. Je pense que c’est dangereux au niveau de l’humanité pour tout un tas de choses, le contrôle, les armes etc.
J’ai toujours fait de la musique depuis mes 16 ans. Mon instrument c’est la batterie. Mon frère fait de la musique de films, j’allais le voir en concert. Quand je vivais à Bordeaux j’ai fait du rock avec lui. On a fait des tournées, j’étais à la batterie. C’était super. J’ai commencé à chanter en arrivant à Grenoble, en faisant des reprises puis en écrivant mes propres chansons. Mon frère a trouvé ça cool. Et on a enregistré notre premier album de groupe sous le nom de Solow. On compose à distance car mon frère vit à Berlin. On a fait la Cuvée Grenoblois il y a deux ans. C’est de la pop avec batterie, basse, claviers, trompette… et mon frère arrange les morceaux sur ordinateur. C’était promis à un bel avenir mais on a eu un coup de mou et on a arrêté, mais je continue à jouer seule à droite à gauche. Je ne sais pas trop ce qu’il faut dire ou pas dans les interviews, je dis ce qui me vient…
Du coup je joue toujours seule avec ma guitare et mes instrus sur le téléphone. Je me produis dans des petits lieux et ça me fait gagner des sous. Je suis un peu en stress tout le temps pour rentrer de l’argent alors quand on me propose de jouer je dis pas non, sachant en plus que j’ai bossé comme une malade pour chanter ces morceaux, j’ai pris des cours de chant et de guitare. J’ai beaucoup répété. Quand le groupe s’est arrêté alors que ça venait de démarrer c’était un peu dur. Et surtout je suis heureuse quand je joue. Et j’ai un deuxième groupe qui s’appelle Tempête de Chiennes. J’écris tout, je programme la boite à rythme et la basse. J’ai monté le groupe quand j’étais en résidence dans le Nord alors j’ai aussi un bassiste dans le Nord. On a monté le groupe. Lui est prof d’histoire géo et il habite à Lille donc on fait ce qu’on peut. J’étais un peu complexée au début de jouer ça car c’est de la musique assez brute, moins finie, plus engagée. Là j’ose parler de « faut pas me cogner sur la gueule », Solow c’était plus poético-mignon, gentil mais faussement naïf. Tempête de Chienne c’est plus direct avec une chanson sur le viol donc qui peut mettre les gens mal à l’aise. Mais c’est construit à ma façon, un peu barré, décalé. Je dis que c’est de la pop décalée, du post punk mignon, dark mignon. Sinon j’adore la musique des 1960’s, j’adore la surf music. J’adore aussi l’album éponyme de Philippe Katerine. Juste tu dois vivre pour vivre. C’est exactement comme ça que j’ai fait Tempête de Chiennes, je suis là je cuisine, il s’est passé un truc dans ma journée, je rumine et j’en fait une petite chanson.
Je suis ouverte à beaucoup de choses, avant je lisais beaucoup de romans pour me distraire. J’ai lu tous les Fred Vargas. En fait depuis que je dessine je n’ai plus vraiment l’énergie d’ouvrir un livre le soir, donc j’ai découvert les livres audio, j’en écoute tout le temps. J’ai aussi des peurs par exemple j’entends que Proust c’est génial mais pour moi Proust c’est un truc de taré de littérature. Donc en fait j’écoute Proust et ça défile.
C’est marrant ça, en tout cas j’adore sa façon de décrire certaines choses ou je m’emmerde totalement sur d’autres, ça dépend. En effet il y a plein de choses qui me touchent sur sa façon de s’arrêter sur la vie. Et tu vois là je découvre Montaigne grâce à France Culture. Notamment le livre de Stefan Zweig sur Montaigne. Pour moi Montaigne c’était vraiment un truc inaccessible. Tous ces écrivains… j’écris aussi des petites BD qui sont sur mon site. J’ai aussi écrit des fausses petites annonces pour rire. C’est sur mon site aussi. Oui la littérature c’est essentiel. Je lis des BD le matin pour me réveiller. Mais je n’aime pas les dévorer, je les lis lentement le temps de me réveiller en buvant mon café.
Moi je prends tout au sérieux, je ne suis pas obligée ? Le mec qui a écrit un blues de coyote. Christopher Moore. J’aurais pu dire Fred Vargas mais elle m’énerve ces derniers temps. Allez, Christopher Moore.
Alors un peintre, Juliette Lemontey.
Lost in translation, sans hesitation.
Pavie, en Italie. Pavia. Je n’y suis jamais allée.
Ah ! c’est dur. La chambre ?
Propos recueillis par Aneeway Jones, à Tunis, le 29 janvier 2025.