Corben Wallace, talentueux architecte sonore de l’incontournable groupe de hip-hop grenoblois Opus Crew, a sorti cette année son premier album instrumental intitulé yawn boy. C’était l’occasion de s’entretenir avec lui sur son parcours et ses inspirations. Une discussion en vidéo entre Grenoble et Tokyo, où il réside actuellement.
Corben Wallace yawn boy, c’est à écouter partout, chez Brain Connection 1978.
Corben wallace, qui es-tu ?
Qui je suis, on va faire simple, un beatmaker de Grenoble. J’ai commencé à faire du son autour de 2010. J’ai commencé avec des gens de mon lycée, je devais avoir 15-16 ans. De fil en aiguille j’ai rencontré d’autres gens à Grenoble et on a monté un groupe qui s’appelle Opus Crew, qui est toujours en activité aujourd’hui. C’est là où j’ai fait mes armes. J’ai très rarement produit en dehors de ce crew. Voilà, Corben Wallace de Grenoble, indissociable de Opus Crew.
Y a-t-il eu un évènement particulier qui t’a poussé à commencer la musique à cette époque-là ?
Je pense que j’avais besoin de faire quelque chose qui me canalisait. On peut bien sûr faire tout un tas de trucs dans la vie pour s’occuper mais j’ai toujours détesté, enfin disons que je ne n’ai jamais aimé les sports collectifs, tout ça. Avant de faire du son je faisais du skate et ce que j’aimais dans le skate c’est que c’était quelque chose d’individuel. On peut faire du skateboard avec des gens mais finalement c’est juste toi et ton skate, c’est assez libre, très peu de contrainte. Pour moi dans la musique il y avait un peu de ça, créativité, peu de contraintes. Passionnant et pas de compte à rendre. Il faut aussi être un peu curieux pour vouloir se lancer là-dedans. Avant de faire du son (production hip-hop), je jouais de la guitare basse mais j’étais un piètre bassiste. Dès que j’ai tenté d’intégrer un groupe, j’ai vu les contraintes liées aux groupes, un peu comme dans un sport collectif. Tout ça m’avait très vite refroidi. J’ai arrêté quelques années et j’y suis revenu par un autre biais à savoir la production musicale, là où tu es maître de ton truc, capitaine de ton bateau.
Comment as-tu fait pour trouver ta place au milieu de Opus où il y a 6 ou 7 rappeurs ?
Petit à petit, au début je ne faisais du son qu’avec 2 rappeurs du lycée qui sont ensuite devenu membres de Opus Crew. Petit à petit on s’est connectés. Moi je suis quelqu’un de plutôt introverti, j’ai mis très longtemps avant d’assumer mon art et je pense qu’aujourd’hui je ne l’assume pas encore totalement. Tout ça s’est vraiment fait grâce aux encouragements de mon entourage. J’ai été entouré de gens bienveillants et qui kiffaient ce que je faisais. Ils m’ont encouragé à arrêter d’être timide et à m’affirmer. C’est grâce aux autres et à leur bienveillance que j’ai pu faire ma place.
Cette année, tu t’es détaché de ton groupe le temps d’un album solo. Album instrumental intitulé yawn boy, sorti sur le label Brain Connection 1978.
Oui exact, c’est le label du beatmaker parisien Azaia. Lui est en activité depuis très longtemps. Je vois son label comme étant le Street Corner Music français. Street Corner Music, le label de Houseshoes, un mec de Detroit qui est maintenant à Los Angeles. Il a un catalogue composé essentiellement d’albums instrumentaux de beatmakers de divers horizons. Je ne sais pas si Azaia s’en ai clairement inspiré mais j’aime bien ce concept, de mettre les beatmakers sur le devant de la scène et de redorer leur blason car ce sont des gens de l’ombre.
Qu’as-tu voulu nous dire avec ce projet ?
Je ne sais pas si j’ai voulu dire grand-chose. C’est plutôt une démonstration, voilà aujourd’hui ce que je sais faire, au-delà des instrus que je propose aux rappeurs de mon crew. Je voulais me prouver quelque chose, voir jusqu’où je pouvais aller, pousser les curseurs à fond. Je voulais voir si j’étais capable de faire un album instrumental, plus qu’une beat tape. Un album qui pouvait s’écouter de bout en bout. Il y a surement un truc très egocentrique au final dans cet album. Mais je voulais proposer le meilleur de moi-même en musique.
Alors à titre personnel et étant moi-même beatmaker comme tu le sais, je ne le trouve pas du tout égocentrique ce projet. C’est un album progressif, très aérien. Je trouve qu’il engendre chez l’auditeur de la méditation et de l’introspection. Je l’écoutais et il me donnait de l’inspiration pour écrire des textes littéraires. Il y a donc selon moi une part d’altruisme qui va au-delà d’un simple exercice de style je trouve. C’est un peu « Pink Floydien ».
Je suis un néophyte de Pink Floyd, je connais les quelques titres phare mais ce n’est pas un groupe que j’écoute activement.
Et tu écoutes quoi ?
Je voudrais éviter de te répondre la réponse bullshit « j’écoute de tout » même s’il y a un peu de ça. J’écoute quand même énormément de hip hop. C’est mon style prédominant. Notre groupe est très fan du hip hop des 90’s mais j’écoute aussi beaucoup de trucs récents. On est bien servis de nos jours depuis les USA, de rap à base de samples. J’écoute aussi beaucoup de musique des années 1970 et 1980, quand je dig (recherche de samples, NDLR). Beaucoup de musique électronique aussi. En hip hop j’aime tous les artistes de Griselda donc Westside Gunn, Conway, Benny, Rome Streetz mais aussi Boldy James Mach-Hommy, Roc Marciano. Deux autres gars aussi, Al divino et Estee Nack. J’aime bien Earl Sweatshirt, The Alchemist évidemment, Action Bronson. J’aime tous ces artistes qui au final sont tous un peu connectés. Ils constituent tous une sorte d’écosystème que je trouve génial, je m’y retrouve dedans.
J’en reviens à ce que tu disais concernant ta timidité. Ce type de rap est tout de même très arrogant, est-ce qu’il t’a aidé dans ta vie personnelle à affronter cette timidité et à t’affirmer ?
Etant donné que je ne suis pas vraiment « fluent » en anglais, je ne capte pas bien tout ce qui se dit. Donc je ne sais pas si ça a eu une réelle influence sur moi à ce niveau-là. Je ne pense pas. C’était vraiment un travail en interne avec Opus Crew.
Quel regard as-tu sur la scène grenobloise ? hip hop ou autre ?
Je suis très mauvais auditeur de la scène locale. Je connais bien sûr quelques noms mais je ne suis pas du tout l’actualité. A part peut-être Kespar car je le suis sur les réseaux et qu’il est très actif. Mis à part çà je suis très mauvais, et pourtant je sais qu’il y a plein d’artistes.
Y a-t-il un autre domaine artistique qui te fait vibrer ? Littérature ? cinéma ?
J’aime le dessin, le graphisme. La peinture. Tout ce qui est autour de l’image, j’y suis très sensible. Je vais quand même de temps en temps au cinéma. Je suis nul en littérature mais j’aime la science-fiction, ceci dit j’ai arrêté de lire du jour au lendemain.
Sinon, la question que tout le monde se pose, qu’est ce que tu fous à Tokyo ?
En fait j’étais parti au Japon pendant le Covid avec un visa vacances-travail, qui permet de rester 1 an sur le territoire. Et je suis reparti avec un visa étudiant, je travaille à distance avec mon entreprise et j’étudie le japonais.
Merci infiniment, Jérôme.
Propos recueillis par Sullivan Lépine à l’été 2024, à Grenoble.
Crédit photos : Florent Forestier, Opus Crew, Corben Wallace.