Il y a plein de styles différents dans le lo-fi. Il y a des trucs jazzy, des trucs vraiment chill. Il y a des mecs qui viennent du hip-hop et qui se sont mis au lo-fi pour gagner un peu de sous, ils ont fait comme moi. Ou plutôt moi j’ai fait comme eux.
Plutôt oui, c’est quand même mou non ? Je ne sais pas ce que tu en penses mais c’est très calme. C’est plutôt lo-fi chillbeat.
Oui j’ai joué pas mal de claviers, j’ai un petit Korg, j’ai ça là (il me montre un clavier). J’ai ma platine, j’ai tout mon bordel. J’ai mon PC. Une petite MPC, un MPD machin là, une gratte. Un autre clavier. Un Korg poly 800 qui sonne un peu à la Herbie Hancock, pour faire de l’électro-funk, c’est pas mal du tout. Mais je fais essentiellement du sampling. C’est la discipline, toi-même tu sais. Mais je joue de la guitare depuis mes 17 ans, au début je jouais du rock et du reggae. J’ai eu un groupe de reggae quand j’étais au lycée, (il se met à chanter du Bob Marley), je chantais pour les filles. J’ai choppé plein de meufs grâce à ça, une guitare dans le pré, hop (rires).
Alors Linkrust qui suis-je ? Je suis beatmaker. Beatmaker affilié à plusieurs artistes disons. J’ai travaillé pour Kespar, Contratakerz. Avant ça je faisais du rap sous le nom de Léon Roubignol. Projet que j’ai stoppé car l’écriture me rendait fou (rires). J’ai quand même fait 4 petits albums de rap vraiment en amateur. Ce n’était pas bien réalisé, pas masterisé, vraiment fait avec les moyens du bord. Que dire d’autre ? Je suis un gros collectionneur de vinyles, j’en possède près de 5000. Regarde j’ai toutes ces étagères-là, là j’ai ma board de snow. Bon y’a pas mal de merdes hein. Mais j’ai du très lourd aussi, regarde j’ai des vinyles indiens genre ça là. A une époque je faisais tous les Trocs de L’Ile, je faisais des bornes, j’allais jusqu’à Lyon. J’ai acheté plein de disques de soul.
En grande partie mais depuis une quinzaine d’années je sample beaucoup sur internet car en vinyle tu ne peux pas avoir tout ce que tu veux. Il faudrait que je dépense tellement d’argent pour avoir tout ce que je veux. Là par exemple je travaille sur un projet de cumbia. J’ai cherché des vinyles un peu rares que j’ai envie de sampler, c’est hors de prix. Avant on trouvait plein de disques pour 1 euro, des disques roumains, des disques africains. J’achetais tout ça à 50 centimes, 1 euro. J’allais aussi à Emmaüs où j’ai acheté des centaines de disques. Vraiment, parfois j’y allais et pour 50 euros je revenais avec 50 disques. Et ces trucs bien, des trucs de world music, des trucs tunisiens. Des chanteurs de tous les pays. C’était mon addiction. Mais maintenant avec l’augmentation des prix, je cible plus ce que j’achète. J’achète aussi des disques sur discogs et je les revends. Par exemple là je viens de chopper le premier disque où apparait Alan Hawkshaw, son premier groupe, un truc super psyché rock où il reprennent du Led Zep, ça claque.
Exact c’est ça oui. J’ai acheté le vinyle à 1 ou 2 euros. Je l’ai revendu 120 euros. En plus le mec était aux Etats-Unis il a payé 30 euros de frais de port. Le disque lui a couté 150 boules. Voilà donc je suis Linkrust, beatmaker, Contratakerz, Kespar. Un album avec Awon. Un projet avec un super mec qui s’appelle Aneeway Jones aussi. Aneeway Jones et Akhenaton. Tiff The Gift aussi. Regarde, ils sont tous accroché là les skeuds. Yoshi.
J’aimerais bien rebosser avec Awon mais c’est dur de le chopper. Il est très demandé en ce moment. En fait c’était lui qui était venu me chercher car je bossais avec sa meuf Tiff The Gift qui avait enregistré un couplet pour mon album. L’album avec la petite voiture, celui avec les samples africains. Qu’est-ce que je peux dire d’autre sur Linkrust ? Je rappe encore, je fais encore quelques live de rap en solo. Je continue des projets à droite à gauche, je suis aussi ingé son, technicien audiovisuel, sound designer, je fais du mix et du mastering. Je mixe pour des groupes comme Opus Crew, pas mal de monde. J’ai aussi travaillé sur des films de montagne, de la bande son de films. Avant je faisais aussi des interventions scolaires. Je faisais enregistrer les gamins, je leur faisais faire des instrus. A la fin de l’année ils sortaient un petit single. Dès que j’ai gagné assez d’argent avec la technique j’ai arrêté de faire ça. Linkrust n’est pas mon gagne-pain principal, c’est la technique plutôt mais Linkrust mais du beurre dans les épinards.
(rires). Tu veux que je parle de Donald Trump ? Je valide le classement. Par contre Donald Trump c’est assez flippant. Elon Musk qui finance l’extrème droite. Ils sont très influents.
On va boire le champagne ce soir. On a des potes qui passent ce soir. On va se boire une bouteille de champagne à 4, 5 là.
En fait on voulait faire un truc sur le basket, on s’est dit que la musique pour le basket « faut que ça tape » donc on ne peut pas faire de lo-fi, mais finalement c’est devenu du lo-fi mais on a essayé de le faire un peu plus uptempo, un peu plus rapide. La Cantina c’est Clément, c’est un peu l’un des instigateurs de Tour de Manège, ils étaient plusieurs dans ce collectif. Il n’était pas le premier membre mais il a beaocoup œuvré pour Tour de Manège. Il a géré énormément de choses dont l’administratif. Il a fait un taf monstre. C’est une bande, on a fait pas mal de projets, il y a des beatmakers hyper forts. J’étais vraiment content quand ils sont venus vers moi pour me demander de faire partie du collectif. Je me sentais un peu en marge au début mais avec le temps c’est devenu la famille.
(rires) Non c’était des conneries quand je te demandais s’il fallait que je me rase. C’est parce que je n’aime pas trop être filmé, je ne suis pas quelqu’un de très fier de mon physique. J’ai toujours une petite réticence à me montrer, si c’était du live filmé devant 1000 personnes j’aurais eu trop de pression. J’aurais refusé mais là ça va on n’est que tous les deux.
Le principal c’est Madlib, c’est lui mon prof, mon master. C’est Madlib mais j’ai aussi écouté beaucoup J. Dilla. J’ai surtout beaucoup écouté de rap américain. Dj Muggs et Cypress Hill, Delinquent Habits que je vais bientôt voir en concert. Toute la génération 1990’s, le Wu Tang, RZA… RZA j’ai saigné ses prods pour essayer de comprendre comment il faisait, je les ré écoutais en boucle. Retrouver les samples, à l’époque ce n’était pas si évident alors quand on tombait sur un sample on pétait un plomb « putain c’est le sample de tel truc ! ». Dj Babu aussi j’aimais bien, Evidence, merde c’est quoi leur blaze déjà ?
Non, le groupe qu’ils avaient…putain je ne l’ai pas.
DIlated Peoples merci. Je suis très fan de leur façon de produire. Et puis Guru avec Dj Premier, Gangstarr j’ai beaucoup écouté. J’étudiais Dj Premier pour comprendre comment faire sonner les drums. Au début je focalisais à mort sur comment faire sonner les snares et puis j’ai décroché. J’écoutais donc Madlib et je me rendais compte que lui s’en foutait de comment faire sonner son snare. Parfois ça sonne crade, il prend juste le snare du sample de base sans chercher à le gonfler et je me suis mis à faire pareil. Sans chercher de drums kit. Tu sais à partir de 2010 à peu près je crois, il y a eu plein de drums kit qui tournaient sur internet. Je ne me suis pas interdit d’utiliser ça mais pour que ça sonne différemment, il ne faut pas que je cherche à prendre les mêmes kits que tout le monde. Ce qui n’est pas ton cas car tu as toujours eu des choix de drums étonnants, c’est pour ça que j’ai aimé t’écouter pendant une bonne période.
Par exemple il y avait certains beatmakers c’était vraiment facile. Ça fait trop copié-collé, tout se ressemble.
Tu parles de mes opinions politiques ?
Je ne sais pas. Est-ce que je vois les choses différemment que les gens. En tout cas je vois la musique différemment mais quand j’entends d’autres beatmakers, notamment toi qui ont aussi une approche différente musicalement. On n’est pas là pour reproduire ce que l’industrie essaie de vendre aux gens. C’est pareil pour certains peintres j’imagine. Parfois quand j’entends un sample j’arrive à en faire à peu près ce que je veux et parfois j’improvise.
Je suis partagé. Je n’aime pas être donneur de leçons ou pseudo guide spirituel, les gens font bien ce qu’ils veulent. Mais je trouve sans intérêt le fait que certains beatmakers achètent des banques de samples avec des boucles toutes faites et le piste par piste. Ils ne font ensuite finalement que leurs propres arrangements donc ils ne sont pas beatmakers mais arrangeurs. Ce qui est intéressant dans le beatmaking tel qu’on l’a appris de base avec le sampling de vinyles etc c’est qu’il y a énormément de trucs, des astuces qu’on pouvait mettre des années à comprendre. C’est là où ça devient une performance que de prendre un morceau complet existant et d’en extraire des choses que tu viens maquillées avec de l’égalisation, du phasage et plein d’autres trucs. C’est magique, la matière première du sample.
Je crois que oui. En plus tu sais après 70 ans, une œuvre passe dans le domaine public. Toute la musique avant et jusqu’aux années 1950, à ce jour est utilisable. Donc dans les 10 ans à venir il y a aura la musique des années 1960 et ainsi de suite. A conditions qu’il n’y ait pas eu de nouvelles éditions depuis, je pense qu’il sera quand même compliqué de sampler les Beatles. Dernièrement je me suis fait un délire avec un pote qui fait du punk, il joue de la batterie électrique, en fait on sample du Britney Spears, on le découpe on fait du punk avec, c’est grave drôle. Je trouve que pour n’importe quel type de musique, le sampling est intéressant. Finalement si tu découpes assez les samples et que tu recomposes une nouvelle mélodie tu piques plus le boulot de l’ingé que celui de l’artiste. Il y a plein de bidouilles à faire.
Oui car c’est à Grenoble que j’ai fait mes armes. Même si j’avais fait de la scène avant en Savoie et Haute-Savoie, et aussi à Lyon. Grenoble c’est vraiment là où j’ai senti ma place et où je suis devenu ce que je suis, devenir Linkrust. Avant j’étais encore en recherche de moi-même. C’est en rencontrant les gars de Monkey Theorem, Kespar, MZ Mafia, Vesty et Ticsi que je me suis trouvé à savoir être beatmaker mais aussi DJ. J’aime aussi avoir la place du DJ. Tu es un peu spectateur, tu vois tes potes de dos foutre le feu, tu peux venir en claquettes aucun problème, quoique Jul vient en claquettes en front line il n’y a pas de problème non plus.
Madlib, J Dilla et Pete Rock.
B Real, faut pas que je te dises des mecs que je n’écoute pas (rires), Method Man, Redman.
« Wu-Tang forever », Cypress Hill “IV”, MF Doom & Madlib “Madvillain”.
“full clip” de Gangstarr produit par Dj Premier. « Insane in the brain » de Cypress Hill par Dj Muggs. “cream” de Wu-Tang par RZA.
Alors moi je lis très peu, je suis un mauvais lecteur de ouf. Je vais te sortir des trucs pourris, faut que je les aie lus tant qu’à faire (rires). Astérix et Obélix (rires). Tu vas te moquer de moi… allez Dan Brown Da Vinci code. Je n’ai plus son nom mais le suédois qui a écrit le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire.
Oui voilà. Et un truc que j’ai lu quand j’étais gosse, poil de carotte je n’ai plus le nom de l’auteur.
J’aurais pu te dire des souris et des hommes de John Steinbeck mais tout le monde le cite donc c’est un peu facile mais je l’ai lu. Le plus gros que j’ai lu c’est Victor Hugo les misérables c’est un bon pavé, j’avais bien aimé. J’aime bien Victor Hugo mais j’ai mes limites. Il y a plein de trucs que j’ai lu pour le lycée mais que j’ai détesté. Jean-Jacques Rousseau les rêveries du promeneur solitaire, putain (rires).
C’est bien de la merde, je déteste Rousseau. Autant Voltaire ça va encore. J’en ai lu 2 avec le lycée. J’ai lu Camus, que j’ai bien aimé mais ça m’endormait. Il y a quand même des trucs intéressants, ah oui j’aime bien Boris Vian, l’écume des jours est un très beau livre, ça j’aime bien. C’était ta dernière question ? (rires).
Non à moi maintenant, on va parler de toi un peu, j’ai vu que tu avais démonter ta machine, tu fais quoi tu changes les pads ?
Putain sérieux ? Je vais les ré écouter j’aurai une autre vision du truc…
Propos recueillis par Aneeway Jones à Tunis le 7 janvier 2025.
Droits photos: Florent Ricci