Membre des Grenoblois historiques de Contratakerz, Ekors, électron et penseur libre du rap français, s’apprête à sortir ce vendredi 27 décembre 2024, son premier EP la route. Le premier single dernier tour de piste est sans doute l’un des meilleurs titres sortis cette année. Conversation avec l’intéressé.
Ekors, qui es-tu ?
Je m’appelle Youri, alias Ekors. Je fais du rap depuis plus de 20 ans maintenant. Originaire de Grenoble. Je suis membre du groupe Monkey Theorem avec lequel on a pas mal tourné, on a sorti 3 albums et pas mal de concerts. On a un petit rayonnement dans la région et un peu en France. Je fais aussi partie du groupe Contratakerz avec la fine fleur des rappeurs grenoblois, de l’époque, on avait pas mal tourné aussi. Monkey Theorem s’est mis en pause depuis quelques années puisque nous avions envie de faire d’autres choses. Et j’ai pour la première fois essayé de faire un projet solo. Ça faisait des années que je voulais en faire un. Je n’avais pas spécialement prévu de faire un EP mais je me suis retrouvé avec des morceaux qui marchaient bien ensemble donc j’ai voulu proposer ça.
Le EP s’appelle la route, un commentaire sur le choix de ce titre et son concept ?
Je suis fan de romans et de films d’anticipation, post apocalyptique etc, c’est un univers qui m’a toujours fasciné. C’est très riche visuellement et j’essaie de mettre un maximum d’images dans ma musique. Je me suis rendu compte que tous mes morceaux faisaient des allusions à cet univers. C’était un lien entre tous mes morceaux. La route est mon bouquin préféré donc c’était totalement approprié. Le EP parle en fond de mes états d’âme, mon cheminement et ma quête. Celle qu’on a un peu tous finalement, la quête d’aller de mieux en mieux, de se libérer de nos angoisses et de nos problématiques diverses. Le titre évoque donc cet univers post apocalyptique en filigrane tout au long de l’EP et mon cheminement intérieur.
Y a-t-il eu une apocalypse personnelle pour arriver à un tel concept ?
Apocalypse, peut-être pas à ce point-là. Mais je parle de mes grosses périodes de « moins bien », sans parler de dépression, par respect pour les gens qui traversent de réelles dépressions. Je fais un constat intérieur où ça ne va pas très bien et je vais peu à peu vers la lumière. Je parle de la route vers cette éclaircie, dans laquelle je me sens aujourd’hui.
Pourquoi un EP de 4 chansons ? à titre personnel le seul défaut que je trouve à cet EP est qu’il est trop court.
Alors déjà merci. Ecoute j’ai essayé trois fois dans ma vie de faire un album solo, et à chaque fois je n’ai pas réussi à l’aboutir. Quand tu pars dans la création d’un album sur un format plus long, tu essaie de cocher des cases. Il faut le morceau « love song », le « banger », « l’egotrip », le morceau qui parle de mon histoire personnelle etc. Je trouve que tu en perds un peu la spontanéité du truc, premièrement. Et deuxièmement je me mets trop de pression quand je fais ça et je commence à douter. Je préfère avoir des échéances plus courtes, en commençant par un seul morceau déjà. J’ai eu 4 morceaux qui me plaisaient, sans besoin de revenir dessus. Sur un format plus long j’aurais perdu cette spontanéité et ce kif instantané. Je trouve mon EP cohérent car il est écrit dans une période courte et représente bien mon mood du moment. Tu vois. J’aime bien les rappeurs qui n’essaient pas justement de cocher toutes les cases mais qui ont un univers bien à eux. C’est ce que j’ai voulu développer. Peu importe pour moi la longueur du projet, il y a la même substance. Je ne sais pas si c’est très clair.
J’ai rien compris (rires). Tu disais plus tôt avoir commencé le rap il y a une vingtaine d’années, donc à une époque post boom bap. Aujourd’hui ton univers est à la croisée du boom bap et du rap plus actuel, en termes de prods et de flow. Ça me fait penser un peu à ce que fait un producteur comme Harry Fraud.
Je connais pas du tout.
Tu connais pas ce mec-là ? A mi-chemin entre l’école du sampling et des nouvelles générations issues de la trap.
Oui, c’est ce que j’ai envie de faire, certainement pas envie d’avoir quelque chose qui sonne trop « gardien du temple » tu vois. Je m’en fous de ça, il faut juste que la prod me parle. C’est sûr que je suis plus à l’aise pour rapper sur des rythmiques boom bap car j’ai appris à rapper comme ça. Mais dans la couleur des sons je veux juste procurer de l’émotion, je m’en fous que ça soit entièrement du sample etc. Je peux utiliser des batteries très boom bap ou de la compo synthé genre new wave d’aujourd’hui, ou du sample poussiéreux. Il faut juste que ça me procure de l’émotion et que j’ai envie d’en faire un morceau. J’apprécie toutes les sonorités. J’essaie d’en faire la synthèse. Pareil dans mon écriture, j’essaie de puiser un peu partout dans ce qui me plait. Les artistes que je kiffe font un peu ça, ils font la passerelle.
A chaque écoute du EP, je remarque des détails que je n’avais pas perçus à l’écoute précédente, notamment en ce qui concerne les arrangements. Comment s’est passé la collaboration avec les prodeurs ?
Les beatmakers m’envoyaient leurs prods. J’écris mon texte dessus et je les réarrange avec mes petits moyens sur mon logiciel, pour pouvoir structurer le morceau comme je veux. Et par exemple avec Art, qui a produit dernier tour de piste, on a travaillé les arrangements ensemble chez lui. Avec Projay qui a produit le reste des titres, il m’a envoyé les pistes et j’ai bidouillé mes propres arrangements dessus. J’aime beaucoup faire ça pour que la prod illustre vraiment le texte.
Parle nous maintenant de tes autres projets, Epicerie de Nuit.
Tu mettras que je l’ai dit au début (rires). Alors c’est un projet avec des musiciens. Basse, clavier, saxo, trompette, batterie et une chanteuse. Et moi qui rappe. On est en train de développer ce projet mais évidemment pour enregistrer dans cette configuration c’est un plus compliqué avec les instruments etc. On fait à chaque morceau une mini sortie avec un clip live session. On en a sorti 3 à ce jour. On va essayer de faire un EP pour 2026.
Il y a aussi il me semble Ultrapouple et les Frères Hans.
Les Frères Hans c’est juste de la grande bêtise avec mon pote Kriké qui est aussi un rappeur mais on préfère faire des conneries que de faire des morceaux de rap. On s’amuse, on a créé des personnages. Je n’ai pas envie de m’interdire quoique ce soit, je veux aussi faire des morceaux débiles.
Ultrapoulpe c’est un projet avec ma pote Elise, on voulait explorer des morceaux un peu pop synth wave, s’essayer un peu au chant, des chansons dans les standards de la pop, plus épurées, plus simples dans l’écriture tout en restant riches. Travailler un univers visuel et sonore, c’est nous qui faisons les prods aussi. On a sorti un EP l’année dernière. Je ne m’interdis vraiment rien, j’aime faire plein de trucs différents. Peut-être demain si je veux, je ferai du reggae ou du metal, je m’en fous, même si à chaque fois j’essaie quand même d’injecter des techniques du rap que j’ai appris. Je veux juste me faire kiffer.
J’essaie aussi de développer une carrière entre guillemets, de parolier. Avec Kespar avec qui je me suis associé. Pour tenter de vendre et de placer nos textes aux artistes plus mainstream. On a commencé il y a environ 5 ans et on a placé quelques trucs déjà, à des artistes un peu connus. J’ai toujours aimé essayer et apprendre de nouvelles choses. Et m’ouvrir à la nouveauté.
Quel est ton regard sur la scène locale à Grenoble ?
Positif, toujours. Après je t’avoue que je commence à vieillir, à avoir des poils blancs sur la barbe donc je sors beaucoup moins. Je suis beaucoup moins au fait de ce qu’il se passe. Mais d’après les trucs que je vois passer il y a beaucoup de niveau. C’est fou le nombre de rappeurs qu’il y a à Grenoble, ça s’est multiplié par 10 depuis notre époque, c’est très cool. Notamment les artistes révélés par la Cuvée Grenobloise. Et il y a toujours les anciens que je kiffe. Nemo vient de sortir un projet vraiment mortel.
Effectivement.
On est aussi en train de créer une sorte de collectif avec Projay, Art, Lyspa… avec les codes de l’ancienne école et l’influence de la nouvelle tu vois, dans ce délire-là.
Ton rapport à la littérature ?
J’ai lu plein de bouquins dans ma vie. J’ai toujours aimé la SF et les romans d’anticipation. Ça m’a influencé dans ma pratique du rap. Depuis longtemps j’aimerais écrire un livre mais pour l’instant ça me parait être une montagne, j’ai beaucoup de respect pour les gens qui arrivent à faire ça. Le simple fait d’arriver à écrire 200 pages je trouve ça incroyable.
Si, j’avais une question, ça me revient que maintenant, je mettrai que je t’ai demandé ça au début. Concernant ton écriture, il y a effectivement beaucoup d’images intéressantes et une corrélation assez originale entre les titres des morceaux et le contenu des textes. Beaucoup d’enchainements d’idées, que je trouve très subtil et assez rare dans le rap français, pour ce que j’en connais.
J’aime les mots et les formules qui soient impactants. Je trouve çà chiant de trouver un titre qui résume le morceau, je m’en fous. Faut que ça sonne, comme une marque, un slogan. Que tu le retiennes, et que ça soit comme une sorte de jeu de piste dans le texte pour en arriver à comprendre le titre. Et j’aime travailler l’immédiateté dans l’écriture. J’aime avoir une écriture visuelle comme dans un film où tu te manges un cadrage, un plan qui est impactant, un contre plongée de ouf tu vois.
Merci infiniment, Youri.
Propos recueillis à Tunis en décembre 2024 par Sullivan Lépine.
Droits photos : Ekors, Thypa.