Lionel Soulchildren a produit et composé pour tous les plus grands noms du rap français, de Akhenaton et Sexion d’Assaut en passant par Youssoupha, Pejmaxx et Oxmo Puccino. Il brille aujourd’hui par sa curiosité du monde et son humilité en composant le projet an asian trip, à la croisée des musiques électroniques et des cultures asiatiques.
Bonjour Lionel, qui es-tu ?
Je m’appelle Lionel Marçal. J’ai 40 ans, dans le civil je suis professeur des écoles, Je suis père de famille, pour moi c’est très important, je suis père de deux filles, l’une de 5 ans et l’autre de 9 ans. Ma deuxième vie est celle de compositeur, de producteur, ou beatmaker même si j’ai peu d’affection pour ce mot. Dans le milieu de la musique depuis un peu plus de 20 ans. Dans le rap français notamment et le son à l’image pour la télévision. Et récemment, ce sont les perspectives du présent et pour l’avenir, dans l’électro.
Par rapport à ton background familial ou social, qu’est ce qui t’a amené vers le rap ?
Dans ma famille il y avait de la variété, les classiques que mes parents écoutaient dans les années 1980 et il y avait un peu de musique brésilienne, bossa nova, car mon père est portugais. Un de mes copains au collège m’a fait écouter la compilation L-432, une compilation de rap français. Et un autre m’a fait écouter hip hop soul party 3 de Cut Killer. Ma tête a littéralement explosé. L’énergie, la rage, la musicalité, les textes et l’aspect DJ de hip hop soul soul party m’ont beaucoup attiré, les enchainements, les scratches et les mixes, je découvrais chaque morceau comme si ça avait une valeur incommensurable. Ensuite j’ai acheté une platine, pour écouter des nouveautés il fallait acheter des vinyles et j’avais la chance d’habiter en région parisienne donc j’allais acheter des vinyles dans les magasins historiques de Chatelet Les Halles. Il y avait aussi les mixtapes et à 14 ans je suis devenu un mordu de rap français, a tel point que j’étais devenu une référence dans mon entourage. Je pouvais rapper de mémoire plusieurs albums entier de rap français. Ensuite il y a eu les scratches et le mix et j’ai fait des mixtapes de manière artisanale. Puis de manière assez artisanale encore et sur des PC, j’ai commencé à faire mes premiers montages de sons et mes premières productions vers 16 ans.
Je n’aime pas le terme beatmaker car il est très réducteur. Le terme « fabricant de beat », un beat, c’est-à-dire une batterie. Ça réduit la production à un type qui fabriquerait des beats en série. Le terme producteur, qui prête à confusion car on le confond avec le producteur exécutif, donne de la valeur car il met l’accent sur la conception intégrale du morceau. Il y a là-dedans le travail de direction artistique. Le terme compositeur est plus flatteur mais il est surtout mieux compris par l’ensemble de la population.
Shock G de Digital Underground, paix à son âme, disait que le sampling est à la composition ce que la photographie est à la peinture.
J’utilisais une métaphore de ce type concernant le sampling, mais sur la mosaïque. Ce n’est pas moi qui aie fabriqué ce tesson, ce bout de verre ou ce fragment de poterie mais je les assemble pour en faire une mosaïque.
Parlons maintenant de ton nouveau projet an asian trip puisqu’il correspond tout à fait à cette mosaïque, aussi bien sonore que visuelle avec ces artworks colorés. Comment t’est venue cette idée de projet ?
En fait c’est la deuxième fois qu’avec ma femme et mes filles on prend ce qu’on appelle dans l’administration, une disponibilité. C’est-à-dire qu’on interrompt notre carrière pour pouvoir voyager 4, 5, 6 mois. La première fois c’était il y a environ 3 ans, en Thaïlande et à Bali. Et de janvier 2024 jusqu’à l’été, on a fait un tour un peu plus général de l’Asie, en passant par l’Inde, la Chine, le Sri Lanka, le Viêt-Nam, le Cambodge, Singapour et la Malaisie. La première fois que nous sommes partis, je n’avais volontairement pas pris de matériel pour être entièrement dans la famille et le voyage. Donc j’avais complètement coupé le son et c’était très bien comme ça. J’ai besoin de la musique mais je n’en suis pas dépendant affectivement. J’ai réduit mon matériel entre les deux voyages, je suis passé d’un set up de près de 100 kilos à un PC portable et un casque. Je me suis donc mis à enregistrer pas mal de choses avec mon téléphone portable en mode dictaphone quand j’assistais à un spectacle en Chine ou dans la rue en Inde… des ambiances de rue. J’ai voulu voir ce que je pouvais faire avec tout ça. J’ai donc commencé à refaire du son dans les hôtels, au bord des piscines et des plages, dans les trains de nuit en Inde, un peu partout.
Y’a-t-il eu là-bas quelque chose dans la musique que tu as totalement découvert ? quelque chose dont tu ne soupçonnais pas l’existence ?
Ce qui m’a interpellé en Inde c’est que c’est un monde parallèle. Je vais te donner un exemple. Souvent les gens nous interpellaient pour se prendre en photo avec nous. Au bout d’un moment on plaisantait en leur disant que nous n’étions pas Jay-Z et Beyoncé. Les gens ne connaissaient ni Jay-Z, ni Beyoncé. Là-bas il n’y a pas de musique occidentale. Ils n’écoutent que de la musique indienne. C’est hyper intéressant car notre musique que l’on croit mondiale ne l’ai pas forcément car dans le pays le plus peuplé du monde, les gens ne l’écoutent pas du tout. L’omniprésence du bruit de manière générale m’a marqué. En Inde tous les sens sont saturés mais l’ouïe particulièrement. Il y a de la musique en permanence, le jour et la nuit, des feux d’artifice, des klaxons, ça ne s’arrête jamais. En Chine c’est pareil, la musique occidentale n’a pas lieu d’être. Les sonorités aussi m’ont interpellé, depuis toujours j’aime les voix et j’en ai souvent intégré dans mes musiques. Là-bas j’étais ravi, j’ai entendu des voix ou des chœurs, des choses vraiment particulières en terme d’harmonie et ça m’a beaucoup inspiré.
Pourquoi avoir choisi d’opérer un virage vers la musique électro plutôt que d’en avoir fait un projet hip hop ?
C’est quelque chose qui me trotte dans la tête depuis près de 20 ans. Ce n’est pas mon domaine donc j’ai peur de me tromper, mais faire un son qu’on appelle la french touch ou de la house. Je transitionne là-dessus, c’est ce que je vais faire durant les mois à venir. Pour le projet asiatique, je n’ai pas du tout pensé à ce que je faisais. Quand je fais du rap je me dis « ok, je vais envoyer une prod à Scylla… untel aime les atmosphères comme ça ou pour Pejmaxx lui il aime les instrus comme ça ou comme ça… ». Soudain j’ai réalisé que je m’en foutais en fait, je vais essayer, tout s’est fait naturellement, de sortir des carcans. Il y a dessus des morceaux presque techno qui sont à 120 ou 130 BPM. Je pensais même à ce que fait Manu Chao même si ce que je fais ne lui ressemble pas forcément. J’étais libre, affranchi des contraintes.
Parmi tous ces endroits que tu as visités, y en-t-il eu un qui soit le plus emblématique ou significatif dans ton périple ?
J’ai beaucoup de mal à répondre à cette question. Le voyage existe dans sa globalité. Après ce n’est pas si surprenant mais j’ai eu une émotion hyper forte devant le Taj Mahal en Inde. On a tous vu une image du Taj Mahal mais quand on le voit en vrai il y a les larmes aux yeux qui viennent, on a l’impression de rêver. Moi qui m’intéresse à la spiritualité, parfois je reste sans voix ou je m’efface devant le caractère immense de ce que je vois. Il y a eu aussi des montagnes en Chine, les gorges du Saut du Tigre, les contreforts de l’Himalaya m’ont coupé le souffle.
En oubliant le côté artistique, dans quelle mesure cette expérience t’a-t-elle changé en tant qu’être humain ?
Avant moi, je pense en premier lieu à mes filles et ma femme. Tu vois il y a plein de gens qui disparaissent autour de nous donc je me suis dit « si tu meurs dans 3 ans, dans 5 ans, est ce que tu diras que tu as merdé, que tu as passé trop de temps à travailler ou est-ce que tu seras content de ta vie ? ». Le but était de passer le plus de temps possible avec mes filles quand elles sont encore petites et je peux me dire aujourd’hui que je connais vraiment mes enfants. On a accumulé du vécu ensemble et c’est la première valeur de ce voyage. Ensuite bien sûr beaucoup de rencontres, et le fait de réaliser que nous autres, européens, on n’est vraiment pas le centre ni la représentation centrale de ce qu’est un être humain. J’ai eu un immense plaisir à découvrir tous ces lieux et passer du temps avec ma famille. Si je passe l’arme à gauche dans pas longtemps c’est bon je suis satisfait. Si je regarde ma vie je me dis que je n’ai pas gâché mon temps.
Côté pratique, ce projet an asian trip sort quand, comment, où ?
Alors j’ai choisi et je ne sais même pas pourquoi, de faire des sorties croisées. J’ai produit pendant le voyage ces atmosphères asiatiques. J’ai sorti 4 « singles » entre guillemets, en ne sachant même pas combien de titres il y aura sur le projet final. Ça sort au compte-goutte et je n’ai pas de date de sortie pour le projet estampillé album. J’ai sorti il y a peu plusieurs singles d’un projet de house / french touch et j’en ai une dizaine programmé, un chaque semaine jusqu’à janvier. Les deux sorties se feront au gré de mes envies.
Allez restons dans le thème et finissons sur un petit portrait chinois.
Quand je vois ça dans les médias je me demande comment ils font pour être aussi réactifs donc je ne te promets pas d’être un grand performer.
Un producteur ?
Timabaland.
Un rappeur ? Ou une rappeuse ?
Prodigy, de Mobb Deep.
Un album de musique ?
Le combat continue de Ideal J.
Un président de la IIIème République ?
(rires).
Un écrivain ?
C’est dur ça car j’en ai plein en tête, je dirais Borges, l’argentin.
Un mot de la langue française ?
Cosmos.
Merci infiniment, Lionel.
Propos recueillis à Tunis en novembre 2024, par Sullivan Lépine.
Droits photos / illustrations : Lionel Marçal.