Je m’appelle Sana Soumaré. Je suis d’origine mauritanienne et je suis animateur radio sur News FM 101.2 à Grenoble.
Depuis 3 ans. Mais avant News FM j’avais fait du bénévolat dans d’autres radios. C’est quelque chose que j’ai toujours voulu faire. J’ai eu l’occasion d’être bénévole chez News FM au début. Mais mes vrais premiers pas, c’était sur RCF Isère je ne sais pas si tu connais. C’est la Radio Chrétienne de France. Un jour j’étais dans le tram B (rires). Le tram arrive à l’arrêt Notre-Dame, je ne savais pas qu’il y avait une radio là-bas. Je suis descendu du tram et je suis allé frapper à la porte. La secrétaire m’a ouvert. Je lui ai dit que je voulais faire de la radio et que j’étais même prêt à le faire gratuitement, bénévolement. Ça l’a fait rire et le directeur est sorti de son bureau, ils m’ont proposé un café. L’accueil qu’ils m’ont réservé était magnifique. Je ne m’attendais pas à ça car pour moi les radios étaient inaccessibles, tu vois. Aujourd’hui je suis animateur mais je vois toujours que parfois les gens craignent de venir à la radio, alors que la porte est grande ouverte. Je pense que les gens qui y travaillent ne parlent pas beaucoup de ce côté-là. Donc voilà, ça a commencé comme çà. J’ai vu une petite grille sur la porte et j’ai tapé. Le directeur d’antenne était en vacances, j’ai laissé mes coordonnées. Il m’a appelé une semaine après et je suis allé les voir. Il m’a beaucoup parlé de ma détermination et du fait que j’ai osé franchir leur porte. Je leur ai dit que je n’avais jamais fait de radio avant mais que je pensais avoir fait des interviews car quand j’étais petit j’allais au village avec un magnéto et j’enregistrais les personnes âgées. Je leur demandais comment le village avait été créé, je les questionnais sur leurs expériences etc. C’est après que j’ai réalisé que j’avais un truc avec tout ça. Alors à Radio RCF on m’a donné un magnéto et on m’a demandé d’aller faire un petit reportage. C’était pour faire un reportage dans une école élémentaire. J’ai fait quelques interviews d’élèves et d’enseignants. Mais avant ça j’étais allé voir sur internet pour apprendre comment on fait une interview. Je suis resté dans cette radio pendant un an, je préparais l’agenda culturel. J’ai toujours été investi dans la culture depuis que j’étais en Mauritanie. J’ai donc dû chercher tous les évènements de la ville et de la région et je l’ai fait bénévolement pendant un an. Ça m’a beaucoup plu et je voulais en faire mon métier. Mais comme tu le sais toi-même, il n’y a pas beaucoup d’écoles de radio. Il y avait cette école privée, Studio M à Lyon mais cette école était chère. Heureusement qu’il y avait Pole Emploi, je les remercie beaucoup, ils m’ont vraiment aidé et c’est important de noter ce que les gens t’ont offert. Je n’étais pas seul, il y a eu beaucoup de candidatures, ils en ont retenu une seule, et c’était moi alors ça m’a boosté qu’on me fasse confiance. Je me devais de ramener le diplôme à la maison ! Je faisais les aller-retours tous les jours entre Grenoble et Lyon car j’étais ici dans une famille qui m’avait accueilli, et qui connaissait d’ailleurs Farid Boulacel qui est le directeur de News FM. C’est comme ça que le Monsieur de la famille m’a mis en contact avec News FM. J’y ai fait un stage de découverte de deux semaines mais j’y suis resté un mois (rires). Entre temps je m’étais inscrit à Sciences Po pour pouvoir faire du journalisme mais j’ai dû abandonné car je loupais trop de cours. J’avais dû me rendre au Danemark pendant ce temps. Pour gagner un peu de sous je suis allé travailler comme aide à domicile chez des personnes âgées et c’était d’ailleurs une très belle expérience que je ne pourrai jamais oublier. Ça crée beaucoup de liens. Suite à tout ça, l’école m’a accepté et je suis allé faire cette formation à Studio M. Après avoir eu le diplôme, Farid de News FM m’a appelé pour que je les rejoigne sur des plateaux pendant des animations de quartier l’été. Ils m’ont dit qu’ils voulaient m’embaucher dès qu’un poste se libérait. Ils m’ont finalement pris et j’animais une émission quotidienne d’une heure. Le thème de l’émission c’était « causeries, à la découverte de Grenoble ». J’ai fait çà pendant quelques mois et l’animateur qui faisait le 16 / 19 a décidé d’arrêter alors on m’a proposé de prendre sa place. Voilà, je le fais maintenant depuis 3 ans, je le fais à ma sauce, et j’adore.
Je suis heureux, mais tu sais dans la vie, on ne peut pas être heureux comme on voudrait l’être, il faut se contenter de ce qu’on a pour être heureux. Mais je me sens heureux car je suis bien entouré, ma famille, des gens qui sont devenus des amis, et ces amis qui sont aussi devenus ma famille. Je suis heureux. Il y a forcément des obstacles dans la vie, certains jours ça ne va pas, par exemple dans tes relations amoureuses, c’est normal mais je suis ma route. Je ne pense pas qu’il soit possible d’être heureux constamment, parfois je suis triste car ma mère me manque ou parce que je suis loin de chez moi. Mais je suis bien là où je suis actuellement, ça va. Une chose est sure, je suis heureux dans mon métier. La radio c’est ma deuxième maison.
Tout à fait. Greg est quelqu’un qui m’inspire beaucoup. Nous ne sommes pas des collègues mais des frères. Quand je suis arrivé, ça m’a boosté. Ça fait plus de 15 ans qu’il est ici, pareil pour Christophe et Farid bien sûr. J’ai été très bien accueilli quand j’ai mis le pied là-bas. News FM est une radio qui casse les barrières et qui correspondait à mes ambitions et ma façon de voir la culture. Tout est dans le partage. Greg fait la matinale et moi l’après-midi. On s’inspire mutuellement, on ne peut pas faire la même chose. Le monde de la radio nous donne la chance de pouvoir venir avec notre personnalité, donc ça te différencie des autres naturellement même si on fait le même métier. Et c’est un bonheur que d’avoir Greg comme collègue. Il n’y a aucune concurrence. On est tous dans la même galère mais quand il y a du bonheur on le partage ensemble. Par exemple Farid fait tout pour qu’une radio associative existe même quand ça ne va pas. Parfois on fait des plateaux à l’extérieur comme chez Radio Campus. On fait des plateaux communs. S’il y avait des mecs comme Farid dans chaque quartier partout dans le monde, il n’y aurait pas de problème, pas de racisme. C’est impossible que je sois dans un esprit de concurrence vu comme ils m’ont accueilli ici. On est peut-être en concurrence avec des radios commerciales qui ont de l’argent et donc plus de visibilité, en revanche elles investissent moins dans la culture. Nous sommes une radio associative et c’est très familial. J’aime bien ta question ! (rires).
Tout à fait. J’anime chaque jour de 16h à 19h, le 16/19 avec Sana, chaque jour il y a une thématique différente. Avant j’achetais beaucoup de journaux. Je préfère quand même les journaux papiers à internet. Il faut utiliser internet avec précaution, même s’il y a une masse énorme d’informations sur internet, si tu sais ce que tu fais, il y a de quoi avoir de nouveaux sujets chaque jour. L’information va tellement vite, il y a des nouvelles choses chaque minute sur les réseaux. Donc essentiellement maintenant je me base sur internet et je résume tout ça avec mes propres mots.
Exact, musiques et cultures urbaines. Essentiellement rap, je suis impressionné du passé de News FM car c’est une radio qui a accueilli beaucoup d’artistes. Et qui a été la première à diffuser beaucoup d’artistes qu’on voit maintenant sur la scène internationale, comme Sexion d’Assaut et plein d’autres trucs. Dans mon émission j’essaie toujours d’apporter de la nouveauté. Il y a vraiment beaucoup de musique. Il y a une diversité musicale énorme. Je reçois beaucoup d’artistes locaux ici et parfois de plus loin, Lyon, Paris etc. J’aime aussi donner l’envie aux gens de découvrir d’autres horizons, de la musique africaine mais pas seulement, de la musique espagnole, dominicaine. J’ai une rubrique découverte artistique et musicale donc je vais chercher loin des choses qu’on n’a pas spécialement l’habitude d’écouter sur News FM. C’est diversifié même si c’est le rap qui est le plus mis en avant. Je kiffe le milieu du rap et cette culture, ça m’anime chaque jour.
Je pense que dans les cultures anglo-saxonnes, ils sont partis des traditions et qu’ils les ont ensuite modernisées et les Nigérians ont aussi compris çà. Les traditions en Afriques étaient dans l’oralité. Mais quand tu prends un mec comme Fela Kuti, il a inspiré d’autres artistes comme Michael Jackson et c’est lui qui a inventé l’afrobeat. Aujourd’hui les nouvelles générations peuvent voyager donc ça favorise l’échange et le partage. Le fait de se limiter à soi est un suicide culturel. Une culture ne doit pas être figée, elle doit évoluer dans le temps. Ils ont compris ça au Nigeria et ils ont mélangé la musique traditionnelle aux instruments modernes. C’est comme l’amapiano qui vient d’Afrique du Sud. Le Nigeria est un pays anglophone, ça se rapproche de l’ouverture d’esprit des Anglais. Les artistes nigérians ont fait beaucoup de collaborations avec des artistes américains. Ça a été une façon de les propulser. La musique appartient à tout le monde. Parfois ça me choque quand on accuse quelqu’un d’appropriation culturelle. Si je vois quelqu’un porter ma culture d’une manière positive c’est qu’il ou elle a une ouverture d’esprit qui n’a pas de limite.
C’est la seule solution. Mon souhait est que les gens se connectent entre eux. Il y a certains médias qui sont malhonnêtes car ils traitent une information en fonction des bénéfices qu’ils peuvent en tirer. Il faut que le social soit connecté au culturel bien sûr. Je ne dis pas que j’ai une grosse culture générale, mais j’accepte tout le monde, à part les racistes et les hypocrites. Oui si ces deux choses se marient ensemble alors les populations se mettront en contact. Quand je suis arrivé en France depuis l’Afrique, je regardais la télé. Tu vois à la télé ce sont les décideurs d’opinions mais au sein du peuple, tout le monde manifeste. Donc oui le social doit être connecté au culturel.
Oui c’est flippant, mais je ne pense pas que Trump et Musk peuvent dominer le monde. Dans la culture nous jouons un rôle de sensibilisation. Chez News FM nous proposons une éducation aux médias pour que les jeunes puissent discerner le vrai du faux. Ça me fait un peu peur mais ça va car il y a des gens qui arrivent tout de même à comprendre. Il y en a d’autres qui vont sur le terrain pour sensibiliser… l’intelligence artificielle est un outil puissant qui peut être dangereux mais il y a de bonnes choses avec internet. Regarde, là tu es en Tunisie et moi à Grenoble mais on peut se parler, c’est pour une bonne cause. Il faut savoir bien l’utiliser.
Merci beaucoup Aneeway. Comme toi aussi. Merci à toi car tu dis que tu vas interviewer les gens qui sont dans la culture mais toi tu es un pionnier dans la culture. Un jour c’est moi qui vais t’interviewer.
Propos recueillis à Tunis par Aneeway Jones, le 18 janvier 2025 à Tunis.
Droits photos: Sana Soumaré.